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Révolte de Dersim

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La Révolte de Dêrsim est l'un des plus importants soulèvements kurdes la période qui a suivi la proclamation de la République turque en 1923. Elle se déroule dans la région montagneuse du Dêrsim, peuplée alors essentiellement de kurdes alévis, et qui sera ensuite rebaptisée Tunceli[1].

Dirigée par un chef religieux alévi, le Cheikh Seyid Riza (1863-1937), elle commence en 1936 et se termine en 1938 par un massacre d'une grande ampleur, dont les chiffres ne sont toujours pas clairement établis.

La révolte

Contexte

Caractéristiques régionales, ethniques et historiques

La région du Dersîm constitue une région de hautes montagnes. Elle est peuplée en grande majorité par des populations kurdes, de dialectes kurmancî et zaza, et de confession alévie. Ces particularités, aussi bien ethniques que géographiques, lui ont assuré une autonomie de fait. Ainsi, ses habitants n'ont jamais fait partie des bataillons des Hamidiye. Ils n'ont pas non plus participé aux guerres russo-turques, au génocide arménien[2], à la Première Guerre mondiale , ou à la Guerre d'indépendance turque, bien qu'ils aient été représentés par cinq députés à l'Assemblée[3]. Profondément attachés à leur autonomie, mais aussi à leur identité alevie, ils se sont tenus à l'écart des autres révoltes kurdes, dirigées par des chefs de tribus kurdes de confession sunnite, et parfois même par des chefs religieux, comme celle du Cheikh Saïd de Pîran (1925)[1]. Les tribus de Dêrsim ont toutefois soutenu la révolte de Koçgiri[2].

Un bastion

L'Etat turc, après avoir brisé tous les autres foyers de révoltes kurdes, se méfie de cette région si particulière. Dans le cadre de sa politique de mise au pas des régions kurdes, le gouvernement d'Ankara se prépare, après l'écrasement de la République de l'Ararat, à éliminer cette région restée autonome, qu'elle conçoit comme la dernière poche de résistance kurde. En 1935, il adopte une loi spécifique pour Dêrsim (Tunceli Kanunu), afin de turquiser la région en l'occupant militairement et en déportant le plus d'habitants possibles vers l'ouest du pays. Il impose le nouveau nom de Tunceli[2].

En 1936, un gouverneur militaire, le général de gendarmerie Alp Doğan, est dépêché dans la région. Il proclame l'état de siège et met en œuvre des travaux de construction de casernes, de postes de police et d'école, où l'usage de toute autre langue que le turc est rigoureusement interdit, dans toute la région[3],[2].

Le « manifeste » de Seyid Reza et l'ultimatum d'Alp Doğan

Les troubles semblent commencer en 1936. Des heurts ont notamment lieu entre la population et les gardiens des chantiers de casernes en construction. Un chef religieux traditionnel alévi, Seyid Reza[4], qui bénéficie d'un profond respect chez les tribus du Dêrsim, demande alors à rencontrer le général Abdullah Alp Doğan, qui siège à El-Aziz, pour trouver une voie d'apaisement. Lors de l'entrevue, Seyid Reza est alarmé par les « intentions belliqueuses » du gouvernement turc. Il publie un « manifeste », un texte bref qui rend compte de la répression, des déportations et des massacres qui sévissent dans les régions kurdes, et qui expose son inquiétude sur ce qu'il pressent pour sa propre région. Il presse le Dr. Nouri Dersimi de partir en Europe et d' « alerter l'opinion publique mondiale »[5].

De son côté, après l'entrevue avec Seyid Reza, le général Alp Doğan publie un communiqué, distribué dans tous les villages, par lequel il exige la remise de 200.000 fusils par les habitants[3]. Seyid Reza s'adresse à nouveau au général, le priant d'annuler sa circulaire, et lui propose la mise en place d'une « administration locale garantissant les droits nationaux de la population ». La réponse du gouverneur est immédiate: plusieurs régiments de gendarmerie sont envoyés dans la ville de Dêrsim, tandis que les troupes du 9e corps d'armée commencent à encercler la région. L'arrivée de l'hiver 1936 interrompt les opérations militaires, mais la région est désormais sous blocus[5].

Le soulèvement

Malgré leur éloignement des autres révoltes kurdes, le message du gouverneur est interprété comme une déclaration de guerre par les habitants[3]. Le signal de la révolte est lancé au printemps 1937 par un chef religieux alévi, le Cheikh Seyid Riza, âgé de 70 ans[1].

Le gouvernement turc décrète la mobilisation partielle. Le gros de l'armée turque est transféré à Dêrsim. Le premier ministre, Ismet Inönü, se rend sur place. Malgré l'utilisation massive de l'aviation, des gaz toxiques, de l'artillerie, l'armée turque piétine devant une rébellion qui pratique une guerre de guerilla opiniâtre dans les montagnes. En dépit de la disparition des chefs de la révolte, assassinés par traîtrise, la résistance se poursuit jusqu'en octobre 1938[3].

Le massacre

Localisation de la Province de Dersim en Turquie (1937).
Mustafa Kemal Atatürk et Sabiha Gökçen
Sabiha Gökçen devant un Breguet 19 avant le bombardement de Dersim

La répression est d'autant plus violente que la victoire a coûté très cher en hommes et en matériel à l'armée turque. Dans de nombreux villages, les habitants sont enfermés dans des grottes, dans lesquelles les soldats turcs jettent des gaz de combat, ou dans des granges, auxquelles ils mettent le feu. Les forêts sont cernées et incendiées pour exterminer ceux qui s'y sont réfugiés. En parallèle à ce massacre, on assiste à une série de suicides collectifs: beaucoup de femmes de jeunes filles se jettent dans la rivière Munzur pour ne pas tomber aux mains des occupants. La région est entièrement dévastée, plus encore que les territoires qui ont abrité les autres révoltes kurdes[6],[3].

Postérité

Des sources rares

Le gouvernement turc a pratiqué une politique de mise sous secret des événements de Dêrsim, raison pour laquelle on ne sait jusqu'à aujourd'hui que peu de choses sur les chefs du mouvement et sur le déroulement exact. Le seul ouvrage appuyé sur des sources et consacré à la révolte de Dêrsim est le livre du Dr Nouri Dersimi, Kurdistan tarihinde Dersim (le Dêrsim dans l'histoire du Kurdistan), publié en turc à Alep en 1952. L'auteur serait mort vers 1975 en Syrie. Il avait participé depuis 1919 aux divers mouvements nationaux en Turquie, et notamment au soulèvement du Dêrsim aux côtés de Seyid Riza[5].

Reconnaissance par le gouvernement de l'AKP

En , le Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan s'est excusé officiellement, au nom de l'État turc, pour le massacre perpétré à Dersim[7]. Cependant, les attentes des associations de Dersim ne sont pas satisfaites[8]:

  • restitution du nom d'origine de Dersim à la province de Tunceli,
  • publication des noms des personnes déportées et de l’identité des orphelins adoptés,
  • révélation du lieu où le chef de la résistance dersimi Seyit Riza a été inhumé après son exécution

Notes et références

  1. a b et c Michael M. Gunter, Historical Dictionary of the Kurds, Toronto/Oxford, Scarecrow Press, , 410 p. (ISBN 978-0-8108-6751-2), p. 39-40, 44
  2. a b c et d Özcan Yilmaz, La formation de la nation kurde en Turquie, Paris, Presses universitaires de France, , 254 p. (ISBN 978-2-9405-0317-9), p. 77-78
  3. a b c d e et f Gérard Chaliand, Abdul Rahman Ghassemlou et al., Les Kurdes et le Kurdistan : la question nationale kurde au Proche-Orient, Paris, F. Maspero, coll. « Petite collection Maspero », , 369 p. (ISBN 2-7071-1215-1), p. 102-103
  4. Le terme de seyid, chez les alévis, est un équivalent de celui de cheikh chez les sunnites.
  5. a b et c Chris Kutschera, Le Mouvement national kurde, Paris, Flammarion, , 393 p., p. 120-129
  6. http://www.massviolence.org/Dersim-Massacre-1937-1938
  7. http://fr.euronews.com/2011/11/23/la-turquie-s-excuse-pour-le-massacre-du-dersim-dans-les-annees-30/
  8. http://ovipot.hypotheses.org/6762

Voir aussi

Bibliographie

  • Martin van Bruinessen, “Genocide in Kurdistan? The Suppression of the Dersim Rebellion in Turkey (1937–1938) and the Chemical War against the Iraqi Kurds (1988), in: Genocide: Conceptual and Historical Dimensions,ed. George J. Andreopoulos, 141–70. Philadelphia: University of Pennsylvania Press, 1994.

Articles connexes

Liens externes

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