Lebensraum
Le Lebensraum (de l'allemand, der Raum l'espace et das Leben la vie) ou « espace vital », est un concept géopolitique créé par les milieux impérialistes allemands et popularisé par le nazisme. Lié au darwinisme social, il renvoie à l'idée de territoire suffisant pour, dans un premier temps, assurer la survie d'un peuple et, dans un deuxième temps, favoriser sa croissance via la conquête.
Forgée par Friedrich Ratzel (1844-1904), cette idée a été l'une des principales justifications théoriques de la politique expansionniste de l'Allemagne nazie, en particulier sur le front de l'Est.
Origines
Le terme Lebensraum a été créé par Friedrich Ratzel vers la fin du XIXe siècle[1] et a été employé comme slogan en Allemagne pour réclamer l'unification du pays et l'acquisition de colonies selon les modèles britannique et français. Ratzel croyait que le développement d'un peuple était principalement influencé par sa situation géographique et qu'un peuple s'étant « adapté » avec succès à un endroit envahirait naturellement un autre endroit. Selon lui, il fallait remplir l'espace disponible. L'expansion était donc un dispositif normal et nécessaire de toutes les « espèces saines ».
Le concept du Lebensraum, à l'origine lié à la culture et à l'environnement[1], devient en vogue dans les milieux géographiques, sur-représentés dans les associations pangermaniques prônant la colonisation telles que la Deutsche Kolonialgesellschaft (de) (Société coloniale allemande, celle-ci sera intégrée dans le Reichskolonialbund (en) après 1933) ou la Ligue pangermanique[1].
Ces croyances ont été mises en avant notamment par Karl Haushofer et Friedrich von Bernhardi. Dans son livre de 1912, L'Allemagne et la nouvelle guerre, Bernhardi a complété les hypothèses de Ratzel et a, pour la première fois, clairement identifié l'Europe de l'Est comme source de nouvel espace. Le concept du Lebensraum, qui à l'origine n'était pas spécifiquement lié au racisme biologique, ou du moins pas davantage que les autres théories impérialistes[1], est explicitement lié avec les théories racialistes après la Première Guerre mondiale, dans les années 1920[1].
Il est aussi lié, à cette époque, avec le concept de Volks- und Kulturbodenforschung (en) (« terre du peuple et de la culture ») forgé par la Stiftung für deutsche Volks- und Kulturbodenforschung (Fondation pour la recherche sur la terre et la culture du peuple), un think-tank dirigé par Wilhelm Volz (de) et créé à l'initiative du Ministère de l'Intérieur, qui tient sa première session en octobre 1923 et devient le principal représentant de l'alliance entre la recherche scientifique et le nationalisme germanique pendant l'entre-deux-guerres[1]. Ce concept distinguait trois zones concentriques : le Reich, c'est-à-dire territoire contrôlé par l'État ; le Volksboden, ou le « territoire ethnique » dans lequel vivait des populations germaniques ; et le Kulturboden (« zone de culture »), où se faisait ressentir l'influence de la culture germanique[1].
Le gouvernement allemand étudie la théorie du Lebensraum de Ratzel, et en conclut que la colonisation est un moyen d'augmenter à la fois l'empire et l'« espace vital ». Le Deuxième Reich considère le sud-ouest de l'Afrique (Namibie, entre autres) comme la colonie la plus appropriée pour la croissance de l'empire.
En 1926, le livre de Hans Grimm, Volk ohne Raum (Un peuple sans espace), fut publié. Il deviendra un classique en Allemagne et son titre un slogan du NSDAP.
Le Lebensraum nazi
L'idée d'un peuple germanique manquant d'espace est donc très antérieure à Adolf Hitler, mais c'est lui qui en a tiré les conclusions politiques et militaires extrêmes. Selon l'historien Ian Kershaw, Hitler n'utilisa qu'une seule fois l'expression Lebensraum avant le putsch de la Brasserie de novembre 1923[2]. C'est probablement Rudolf Hess, ancien élève de Karl Haushofer qui la fait connaître à Hitler lors de leur emprisonnement à Landsberg en 1924-1925.
Dans Mein Kampf, Hitler transforme le concept de Lebensraum : plutôt que d'ajouter des colonies - dont l'Allemagne est privée depuis le traité de Versailles -, il veut agrandir le pays à l'intérieur de l'Europe. Il relance ainsi l'idée d'une expansion vers l'Est (Drang nach Osten) et accentue les éléments racistes du Lebensraum, qui devient explicitement lié avec la théorie de l'Herrenvolk (« race maîtresse, race supérieure ») désignant les « Aryens » ou la « race germanique »[1]. Par exemple :
« Ainsi, nous autres nationaux-socialistes, biffons-nous délibérément l'orientation politique d'avant-guerre. Nous commençons là où l'on avait fini il y a six cents ans. Nous arrêtons l'éternelle marche des Germains vers le sud et vers l'ouest de l'Europe, et nous jetons nos regards vers l'est.
Nous mettons terme à la politique coloniale et commerciale d'avant guerre et nous inaugurons la politique territoriale de l'avenir.
Mais si nous parlons aujourd'hui de nouvelles terres en Europe, nous ne saurions penser d'abord qu'à la Russie et aux pays limitrophes qui en dépendent. »
— Adolf Hitler, Mein Kampf, tome 2, 1925[3].
Lors de la prise du pouvoir du NSDAP, la majorité des géographes allemands l'ont acclamé [1]. Seul Emil Waibel s'exila aux États-Unis, tandis qu'Alfred Philippson sera déporté à Theresienstadt[1].
À partir de 1933, ces théories seront notamment mises en pratique par le Rasse- und Siedlungshauptamt (« Bureau de la race et du peuplement » ou RuSHA), dirigé par Walther Darré jusqu'en 1938 puis, entre autres, par Otto Hofmann et Richard Hildebrandt.
Le , la Pologne est envahie, les opposants politiques, les « indésirables » (Juifs, Tsiganes, communistes, etc.) et les élites intellectuelles et religieuses sont massacrés par les Einsatzgruppen et internés dans les camps de concentration. Hitler caractérise les habitants de l'Union soviétique et les Slaves en général comme des « sous-hommes » et se donne le droit de conquérir les terres soviétiques. Le Lebensraum acquiert ainsi, pendant la Seconde Guerre mondiale, une expansion plus large encore que celle prévue par le Volks- und Kulturbodenforschung[1]. En 1943, les instituts de recherche géographiques et autres, liés aux populations « ethniquement germaniques », sont intégrés au RSHA (« Office central de la sécurité du Reich », lié aux SS) sous la houlette de Wilfried Krallert[1]. Ils prennent alors le nom de Fondation du Reich pour les Etudes Géographiques[1], chargées d'analyser les territoires de l'Est en établissant des statistiques sur les populations et la densité de population, etc[1].
Outre les travaux du célèbre géographe Walter Christaller concernant le gouvernement général de Pologne et le Generalplan Ost , le géographe Emil Meynen (de), à la tête depuis 1941 de l'Abteilung für Landeskude, division géographique du Reichhamt für Landesaufnahme (Bureau du Reich pour les Etudes de la Terre), est chargé de l'aménagement du territoire conquis à l'Est[1]. Malgré l'intérêt des Américains pour cette équipe de géographes, Meynen et son équipe (Erich Otremba, Angelika Sievers, etc.) sera interné après la guerre, avec l'équipe d'Albert Speer, dans le cadre de l'Opération Dustbin[1]. Relâchés, ils deviendront des géographes majeurs de l'après-guerre en RFA[1].
Utilisation du concept hors du contexte de l'entre-deux guerres
Jared Diamond utilise deux fois le concept de Lebensraum dans le livre The Third Chimpanzee.
La première fois pour décrire le génocide des tasmaniens - Chapitre 16 (donc dans un sens plutôt traditionnel, quoique détaché du contexte habituel européen/allemand, et également libre de liens avec l'idéologie nazie), et la seconde le territoire occupé par les premiers Américains après -11000 (notion de Lebensraum de l'espèce humaine dans son ensemble).
Notes et références
- (en) Rössler, Mechtild (2001), "Geography and Area Planning under National-Socialism", in Margit Szöllösi-Janze (ed.), Science in the Third Reich, Oxford and New York: Berg Publishers, 2001, 289 p., pp. 59-79
- Ian Kershaw, Hitler : 1889-1936, tome 1, note 74, p. 77, Flammarion, 2000
- Mein Kampf, p. 652, N.E.L.