Rachid BOUHADDOUZ
Le Maroc se trouve à un tournant décisif concernant la place des langues maternelles dans son système éducatif. Avec la dominance du darija et de l’amazigh dans la vie quotidienne, la question cruciale qui se pose est : comment notre système éducatif peut-il représenter fidèlement les langues utilisées dans les foyers marocains ? Cette interrogation surgit dans un contexte où il n’existe pas de vision claire du concept de langue maternelle. Alors que l’amazigh progresse lentement vers une reconnaissance plus juste, le darija marocain souffre encore d’exclusion et de déni, les locuteurs étant souvent mal catégorisés comme parlant l’arabe classique comme langue maternelle.
Ce décalage entre les langues du quotidien et celles enseignées à l’école soulève des inquiétudes quant à l’efficacité de notre système éducatif et à son impact sur le développement des compétences académiques. Avec la prédominance de l’arabe classique et du français à l’école, les élèves marocains issus de milieux où le darija ou l’amazigh prédominent rencontrent des difficultés majeures pour passer de leur langue maternelle à la langue d’enseignement. Cet obstacle linguistique peut limiter leur accès à une éducation de qualité et entraver leur progression académique.
La langue n’est pas seulement un moyen de communication, mais aussi le reflet de notre identité culturelle et historique. L’enseignement dans une langue étrangère à l’environnement familial peut créer un fossé avec notre patrimoine culturel et accentuer les inégalités, surtout dans les régions où l’amazigh ou le darija prédominent. Cela pousse parfois les familles à choisir le français comme langue domestique, afin de préparer leurs enfants à s’adapter au système éducatif en place.
L’analphabétisme partiel, résultant d’un système éducatif qui néglige les langues maternelles, est un défi majeur. Nous voyons fréquemment des individus diplômés possédant des compétences limitées en lecture et écriture dans leur langue maternelle, malgré l’obtention de diplômes. De même, leur maîtrise des langues d’enseignement reste insuffisante, les obligeant à recourir à des écrivains publics pour rédiger une simple lettre administrative ou judiciaire, ou même un message personnel, soulignant ainsi une faille inquiétante de notre approche éducative.
La lutte contre l’analphabétisme ne consiste pas à enseigner une nouvelle langue avec ses règles et sa prononciation, une erreur majeure de notre système éducatif. Il s’agit plutôt de lutter contre l’analphabétisme “alphabétique”, en enseignant les lettres d’écriture aux non-initiés et en leur permettant d’exprimer librement et confortablement ce qu’ils veulent sans traduction dans d’autres langues. Cela favorise une expression authentique et stimule la créativité littéraire. En effet, l’écrivain marocain est souvent un traducteur de ses pensées, habituellement en amazigh ou en darija, plutôt qu’un véritable auteur. La traduction peut trahir les idées, car écrire consiste à transformer les pensées et les sons intérieurs en lettres, et non à traduire ces sons dans des langues que nous ne parlons ni à nous-mêmes ni à notre entourage.
Par conséquent, il est crucial de renforcer les langues maternelles, telles que le darija et l’amazigh, dans nos programmes éducatifs pour établir les fondements de la nation et renforcer son identité nationale. Cela nécessite une réévaluation de la manière d’enseigner ces langues et un changement de perspective de la société à leur égard.
Mettre en avant l’importance des langues nationales dans le système éducatif est un pas vers la réconciliation avec notre héritage linguistique et requiert des politiques éducatives innovantes et inclusives. Il est également essentiel de lancer des campagnes nationales pour changer la perception négative des langues maternelles, sensibiliser le public à leur valeur et déconstruire les stéréotypes enracinés.
La reconnaissance des langues maternelles au Maroc est intrinsèquement liée à la fierté nationale, à la cohésion sociale et à l’avenir du pays. En adoptant une approche globale qui englobe à la fois le darija et l’amazigh, le Maroc peut préserver son patrimoine culturel et ouvrir la voie à un avenir où chaque citoyen se sent valorisé et représenté.
Pour réussir, cette initiative nécessite l’engagement de toutes les parties de la société : le gouvernement, les enseignants, les médias et les citoyens. En travaillant ensemble, nous pouvons progresser dans notre société et garantir un avenir prospère pour les générations à venir, enraciné dans une identité nationale riche et diversifiée.
Au cœur de l’éducation marocaine, il ne s’agit pas seulement de réussir académiquement, mais aussi de préserver et de promouvoir une identité culturelle authentique et dynamique, essentielle pour le développement de chaque individu et la prospérité de la nation.