En se baladant dans les jardins du Champ-de-Mars, impossible de rater l'immense structure métallique qui enserre l'hôtel de Fleury. Les façades de cet élégant bâtiment de style néoclassique sont en cours de rénovation. Un deuxième sous-sol - le premier abrite une piscine -est même creusé pour installer un monte-voitures.
Ce chantier, l'un des plus importants du VIIe arrondissement de Paris, doit durer trois ans et mobiliser jusqu'à 80 ouvriers. Le nouveau propriétaire est l'une des stars de la tech internationale, l'Américain Jan Koum, cofondateur de la messagerie WhatsApp. La 122e fortune mondiale (14 milliards de dollars, selon Forbes) a déboursé la bagatelle de 70 millions d'euros en avril 2020 - l'une des plus grosses transactions pour un hôtel particulier parisien. Un prix qui illustre le pouvoir d'attraction du Champ-de-Mars auprès de la riche clientèle internationale. Sur les palissades du chantier, des textes et images historiques rappellent le passé glorieux du site.
Hôtel de Fleury. Le milliardaire américain Jan Koum, cofondateur de WhatsApp, a acheté le bâtiment néoclassique en 2020 pour 70 millions d'euros. Crédit: Mairie 7/PR Architectes
L'ancien champ de manœuvre de l'Ecole militaire, devenu le théâtre des Expositions universelles, a été aménagé au début du XXe siècle, près de vingt ans après l'inauguration de la tour Eiffel. La superficie des jardins est alors réduite de chaque côté, au profit de deux nouvelles avenues plantées d'arbres, ayant vocation à devenir les "Champs-Elysées de la rive gauche". Les grands architectes de la Belle Epoque érigent des hôtels et immeubles luxueux dont les façades arrière offrent une vue spectaculaire sur la Dame de fer.
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Beaucoup de touristes et une lutte contre les nuisances
"Les jardins et les constructions forment un ensemble homogène, unique en son genre à Paris", souligne Jean d'Izarny-Gargas, président des Amis du Champ-de-Mars, qui milite pour que le quadrilatère intègre le secteur sauvegardé du VIIe arrondissement et bénéficie du plus haut degré de protection.
L'association se bat aussi pour limiter les nuisances engendrées par l'afflux de touristes et les nombreux événements publics, comme le concert Global Citizen et le concours hippique Longines, qui se sont succédé fin juin. Sans parler du Grand Palais éphémère. Les jardins souffrent. "Ils prennent parfois des allures de cour des miracles, entre les vendeurs à la sauvette de tours Eiffel ou d'alcool, les joueurs de bonneteau et les conducteurs de tuk-tuk", se plaint un résident, qui note toutefois un renforcement récent de la présence policière.
Malgré le bruit et la petite délinquance, les voies parallèles, où veillent gardiens et caméras, parviennent à conserver leur aspect impeccable et un certain prestige sur le marché immobilier.
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Un "Eiffel Escape" à 35 millions d'euros
"Les avenues Elisée-Reclus, Emile-Deschanel et Frédéric-Le-Play, côté est, sont les plus prisées grâce à leur ensoleillement", précise un agent. Les prix au m2 des grands appartements oscillent entre 20.000 et 25.000 euros. Un 360-m2 ayant appartenu au "roi du poulet", Charles Doux, a ainsi été vendu, fin 2022, 8,7 millions.
Plus spectaculaire, un duplex de 667 m2 est en passe de trouver preneur à près de 35 millions d'euros, selon nos informations. Il a appartenu à la fille du banquier de Lazard, Michel David-Weill, puis à Bertrand Meunier, le président d'Atos, qui l'a revendu, en 2016, à un promoteur de luxe, la Cogemad, pour 14,3 millions.
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Fondée par Emad Khashoggi, neveu d'un célèbre marchand d'armes saoudien, la Cogemad s'est fait connaître en construisant, dans les Yvelines, une réplique d'un château Louis XIV, acquise par le prince héritier Mohammed ben Salmane. Pour rénover cet appartement baptisé "Eiffel Escape", elle n'a pas fait dans la demi-mesure: lambris dorés, parquet de Versailles et chandeliers en cristal dans le séjour marbre de Carrare et mosaïques reproduisant Le Baiser de Klimt dans la salle de bains; cuisine La Cornue dernier cri et salle de cinéma. De quoi satisfaire son nouveau propriétaire, qui serait chinois.
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Bien sûr, les avenues se distinguent surtout par leurs hôtels particuliers, dont les prix peuvent fortement varier, selon l'état du bien. Un hôtel de style Régence, bâti en 1911 pour le comte de Talleyrand-Périgord, s'est ainsi vendu, en janvier 2022, pour "seulement" dix-neuf millions. Le bâtiment de 920 m2, passé entre les mains de la famille Besnier, propriétaire de Lactalis, a été acquis par l'entrepreneur français Frédéric Utzmann. "C'est un investissement patrimonial, visant à restaurer cette demeure historique et à la revendre à des acheteurs internationaux", précise le Français, qui y réalise d'importants travaux.
Les fortunes du Golfe, fans du quartier
Le roi du Maroc, Mohammed VI, a, lui, dépensé pas moins de 84 millions à l'été 2020 pour un hôtel de 1.540 m2, doté d'un grand jardin et d'une terrasse. Le vendeur était un membre de la famille royale saoudienne. Car les fortunes du Golfe raffolent du quartier. A l'image de la richissime famille Jameel, importateur de Toyota dans la péninsule arabique, qui a investi plusieurs étages de l'un des rares immeubles des années 1970.
Hôtel particulier de Mohammed VI. D'une surface de 1.540 m2, l'ancienne propriété d'un membre de la famille royale saoudienne, dotée d'un grand jardin et d'une terrasse, a coûté 84 millions d'euros au roi du Maroc. Crédit: Berzane Nasser/Abaca
Le cousin de l'émir du Qatar, le collectionneur Hamad ben Abdullah al-Thani, détient, lui, un grand appartement mythique en rez-de-jardin, qui fut longtemps la résidence de l'écrivain Paul Morand et de la princesse Soutzo. Ils accueillaient le Tout-Paris dans leur fameux salon de réception, de dix-huit mètres de longueur et sept mètres de hauteur.
Résidence de l'ambassadeur de Corée du Sud. Acquis pour 34 millions d'euros en 2021, l'hôtel particulier de 992 m2 a été réagencé dans les années 2010 par Pierre Yovanovitch. (DR)
En outre, bon nombre de bâtiments ont été récupérés par des Etats étrangers pour installer leurs diplomates. La Corée du Sud a acquis, en 2021, un hôtel particulier de 992 m2, réaménagé par le décorateur français Pierre Yovanovitch. Elle a versé 34 millions au vendeur, le promoteur Xavier Alvarez-Roman.
Un hôtel désormais résidence de... Nathalie Portman et Benjamin Millepied
Moins présents sur le marché, les propriétaires tricolores n'ont toutefois pas tous déserté le Champ-de-Mars, même s'ils n'y habitent pas à l'année. Les Perrodo (15e fortune de France), à la tête du géant pétrolier Perenco, détiennent ainsi un somptueux hôtel bâti en 1909 pour Charles Frederick Worth, pionnier de la haute couture parisienne et fournisseur de l'impératrice Eugénie. Plus près de la tour Eiffel, on retrouve la famille du promoteur Olivier Mitterrand (200e fortune), neveu de l'ancien président de la République.
Doté d'une piscine en sous-sol et d'un toit terrasse, leur résidence atypique flirtant avec l'Art nouveau est parfois louée pour des événements. De l'autre côté des jardins, l'homme d'affaires Yves Vatelot, propriétaire du château de Reignac dans le Bordelais, possède un bel hôtel surmonté d'une verrière sur le toit, qui avait servi d'ambassade au Yémen.
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Enfin, d'anciennes familles aristocrates ont conservé des immeubles dont les appartements sont loués. A l'image des héritiers du député René Le Bault de la Morinière et de son épouse Bernadette de Francqueville. Leur bâtiment de quatre étages a accueilli, un temps, le distributeur Michel-Edouard Leclerc. Il y a quelques mois, l'actrice Natalie Portman et son mari, le chorégraphe Benjamin Millepied, s'y sont installés. De quoi apporter une petite touche de glamour bienvenue au Champ-de-Mars.