Rincer ses légumes, faire bouillir les pâtes, laver les casseroles… Comme dans nos cuisines, l’industrie agroalimentaire à besoin d’eau pour transformer ses ingrédients. La fabrication industrielle des produits alimentaires nécessite de prélever chaque année 340 millions de m3 d’eau, soit 1,1 % des prélèvements totaux en France, indique Pact’Alim, l’association qui représente 3 000 PME et ETI du secteur.
Mais l’eau est une denrée qui va devenir de moins en moins disponible, à mesure que les sécheresses risquent de se multiplier et de s’intensifier en conséquence du réchauffement climatique. Celles de 2022 et 2023 en France ont déjà été un électrochoc pour beaucoup. « Sans eau, nous ne pouvons pas produire. Si on veut renforcer notre souveraineté en France, nous aurons besoin d’utiliser plus d’eau. Nous devons trouver des solutions, et la réutilisation des eaux usées traitées (REUT) en fait partie », salue Karima Kaci, directrice générale de Pact’Alim. Pour continuer à produire dans un climat qui se réchauffe, les industriels vont devoir adopter de vraies stratégies de sobriété, et investir dans le recyclage de l’eau. Car en matière de REUT, la France est très en retard : elle ne recycle qu’1 % de son eau, contre 15 % en Espagne ou même 90 % en Israël.
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Mise en œuvre du plan eau
Le plan eau, présenté par le gouvernement en mars 2023, veut donc porter ce chiffre à 10 % d’ici 2030. Il aura fallu attendre plus d’un an pour que la promesse de cadre réglementaire permettant ce REUT dans l’agroalimentaire se concrétise via deux décrets. Depuis janvier, les entreprises peuvent réutiliser leurs eaux recyclées dans leurs process industriels, comme le nettoyage des machines. Depuis le 9 juillet dernier, ils peuvent assainir cette eau traitée pour retrouver un niveau de qualité potable et s’en servir « pour la préparation, la transformation et la conservation de toutes denrées et marchandises destinées à l’alimentation humaine ».
« Une excellente nouvelle » saluée par les industriels les plus avancés. A l’image d’Olga. Cette entreprise familiale bretonne regroupe des marques comme Petit Billy, Grillon d’Or, Vrai ou Sojasun et produit des produits laitiers ou végétaux. Olga a déjà réussi à réduire de 20 % sa quantité d’eau consommée par kg de produit en 10 ans, notamment grâce au réemploi de l’eau de rinçage pour prélaver ses équipements. Elle a notamment investi 2 millions d’euros en 2020 sur son site Sojasun à Châteaubourg (Ille-et-Vilaine), le plus gourmand en eau. De quoi installer une tour adiabatique qui permet d’utiliser de l’air plutôt que de l’eau pour refroidir ses installations, et mettre en place un processus de purification par osmose inverse pour réutiliser l’eau de rinçage des graines de soja en eau de process.
Attente des industriels
Grâce au décret du 8 juillet, cette eau pourra aussi servir à nettoyer d’autres graines de soja, ce qui limiterait d’autant plus les prélèvements d’eau « neuve ». « Quand nous avons investi dans l’osmose inverse, on l’a fait en se disant qu’un jour on pourrait aller plus loin dans les usages de l’eau recyclée, ce qui est le cas aujourd’hui, se félicite Olivier Clanchin, président du groupe. La pression sur la ressource hydrique va s’accentuer, il faut apporter des solutions qui font sens. On avait besoin de ce texte, toutes les entreprises étaient en attente. »
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Ce patron d’ETI qui emploie plus de 1 300 personnes le voit bien en Bretagne : la majorité de ses voisins sont très attentifs au sujet de l’eau. Comme dans la région voisine, où le site normand de production de yaourts Pays-de-Bray participe, avec Blédina en Corrèze et Volvic en Auvergne, au projet pilote du groupe Danone pour le recyclage et la réutilisation des eaux.
Danone dans les starting-blocks
« Ce décret était très attendu par nos équipes, il va nous permettre de restaurer la qualité de l’eau, par exemple pour réaliser plusieurs boucles de nettoyage de nos lignes d’embouteillage (mise en bouteille, NDLR) à Volvic, le tout avec la même quantité d’eau », confirme Cathy Le Hec, directrice des ressources en eau pour Danone en France. En associant plusieurs technologies de filtration, dont les roseaux, le projet qui représente environ 7 millions d’euros d’investissement devrait faire économiser 280 millions de litres d’eau par an à l’embouteilleur, qui sera le premier des trois sites à être opérationnel.
Un effort louable qui pourrait sembler bien paradoxal aux ONG comme Oxfam, qui dénoncent l’accaparement de la ressource en eau à but lucratif par les géants de l’agroalimentaire via leurs marques d’eau minérale, dont une partie est exportée.
Pas de quoi ébranler Volvic, qui défend la commercialisation d’une eau minérale de qualité « bue par des enfants, ou des personnes à la santé fragile ». Après trois ans de travail, l’embouteilleur a fourni la démonstration de la possibilité de concilier exigence de qualité pour son eau minérale, et nettoyage par une eau recyclée grâce à un pilote à taille réduite. Une fois déployé, ce système devrait fonctionner en parc presque fermé, avec un renouvellement de 10 % du volume uniquement, promet Volvic, qui vise 20 % d’économie d’eau en 2026 par rapport à 2022, dont la moitié proviendrait de la REUT.
Lourdeurs administratives ?
Reste à passer l’étape d’autorisation du projet par la préfecture. Car le décret du 8 juillet ne constitue pas une autorisation préalable. Les industriels qui veulent se mettre à la REUT devront déposer un dossier de demande d’autorisation qui pourrait prendre des mois. Une lourdeur administrative regrettable pour Willy Fortunato, patron d’UV Germi, une PME corrézienne qui fournit des équipements de purification de l’eau grâce aux UV : « On reste dans un processus lourd. Un dépôt de dossier en Préfecture, c’est long, coûteux et hypothétique. En période de trouble économique et politique, on rajoute de la difficulté alors qu’il faudrait aller beaucoup plus vite si on veut atteindre l’objectif de 10 % de REUT en 2030. » Impatient de voir décoller le recyclage de l’eau, celui qui équipe les piscines olympiques des JO 2024 n’a vu aucune hausse de son activité liée au plan eau, presque un an et demi après son annonce.
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« Si le décret a mis autant de temps à sortir, c’est que le recyclage de l’eau questionne encore beaucoup d’instances, notamment les administrations de santé qui ne connaissent pas nos métiers. Nous défendons tous un intérêt commun », considère pour sa part Olivier Clanchin. Le dirigeant espère que les échanges qui ont mené à ce décret auront permis de rassurer, et que les autorisations seront délivrées rapidement. « Attendre un an pour avoir une réponse serait trop long. »
Mais Volvic n’est pas inquiet. L’embouteilleur semble avoir déjà convaincu les services administratifs, dont l’agence régionale de santé, venus visiter son pilote. Le dossier de demande d’autorisation est aujourd’hui prêt à être déposé. « Les services de l’Etat nous ont dit qu’ils pourraient démarrer l’instruction en septembre », glisse Cathy Le Hec, qui mise sur un délai de 8 à 12 mois pour obtenir son autorisation, construire les équipements et adapter les lignes. Fière de servir d’exemple, elle espère maintenant en inspirer d’autres : « Notre site est ouvert, on veut partager. On a déjà été contactés par d’autres secteurs, on montre que c’est possible. »
En Bretagne, l’Association Bretonnes des Entreprises Agroalimentaires a calculé que s’il était généralisé, ce recyclage de l’eau pourrait réduire les prélèvements des entreprises de la région de près de 25 %. Une bonne nouvelle pour les nappes phréatiques, dont les niveaux sont régulièrement alarmants.