De plus en plus de réfugiés en Grèce quittent le pays hellénique pour rejoindre un autre État de l’Union européenne. La faute, expliquent-ils, à une absence de politique d’intégration grecque, au racisme et à une impossibilité de trouver un toit et un travail. La Belgique fait partie des pays qui attirent ces réfugiés politiques : elle examine ces nouvelles demandes mais rappelle que l’asile n’est pas déplaçable d’un pays à un autre.
Edo est un déçu de la Grèce. Réfugié statutaire depuis avril 2021, ce Congolais, réfugié politique, a passé plusieurs années dans ce pays sans entrevoir la moindre perspective d’intégration. "J'ai voulu y croire mais il n’y avait rien pour moi là-bas", répète-t-il inlassablement. "On vous donne un statut mais c’est un bout de papier, on n’a aucune chance de s’intégrer et de trouver du travail. Les Grecs veulent qu’on parte".
À la fin de l’année 2021, Edo, désabusé, a donc quitté la Grèce et posé ses bagages en Belgique. "Avais-je le choix ? J’ai frappé à de nombreuses portes, je n’ai jamais eu de travail, je cherchais en tout, technicien de surface, éboueur… On m’a chassé de partout. On me disait : ‘Le travail, c’est pour les Grecs’. Je souffrais de racisme aussi. Certains faisaient le signe de croix en me voyant à Thessalonique, comme si j’étais le diable".
Edo décide de repartir sur de nouvelles bases : il dépose une nouvelle demande d’asile dans son 2e pays d’accueil. "Je savais que ça allait être compliqué", reconnaît-il. Il vise juste. Edo est débouté de sa première demande devant la CGRA (équivalent de l’Ofpra, en France). Il fait alors un recours devant le Conseil de contentieux des étrangers (CCE, équivalent de la CNDA française) et attend aujourd’hui la réponse du juge. "J’espère que les Belges m’accorderont une nouvelle chance ici".
Des réfugiés "SDF, bastonnés par la police, pas soignés..."
Des dossiers comme celui d'Edo ne sont pas rares. "Nous avons de plus en plus de dossiers qui viennent de Grèce et aussi de Bulgarie", détaille Me Armelle Philippe, avocate belge, spécialiste du droit des étrangers, jointe par InfoMigrants. "Rien que ce matin [mercredi 13 mars, ndlr], j'ai reçu deux nouveaux cas à examiner, encore des réfugiés de Grèce... On parle de personnes qui, malgré des papiers en règle, sont SDF là-bas, ont été bastonnées par la police grecque, ou encore n'ont pas été soignées malgré des pathologies sérieuses".
Depuis décembre dernier, le CCE a déjà été saisi quatre fois pour ce genre de cas : à chaque fois, des réfugiés statutaires de Grèce et de Bulgarie. "Le phénomène n’est pas nouveau" reconnaît Jean-Christophe Werenne, juge au CCE, joint par InfoMigrants, "mais il nous paraissait essentiel d’assurer une mise à jour des informations sur cette question".
En d'autres termes, reconnaître, à mi-mots via un récent communiqué, que la situation en Grèce et en Bulgarie "peut parfois être perçue comme problématique" tout en rappelant que l’asile n’est pas déplaçable d’un pays à un autre.
Sur les quatre dossiers présentés au CCE, deux ont été déboutés, deux autres "annulés", c'est-à-dire renvoyés devant la CGRA. Depuis 2016, environ 3 000 dossiers du même type ont été traités. "Ces recours ont été plus nombreux en 2020 mais leur nombre est relativement stable depuis", précise encore le juge Werenne.
"Extrêmement rare que la Belgique accorde l'asile à ces personnes"
En théorie, il n’est pas impossible de déposer une nouvelle demande d’asile. "Mais ce ne sont pas des dossiers simples à défendre, il faut pouvoir prouver que les réfugiés se trouvent dans un dénuement matériel extrême", rappelle encore Me Phillipe. "Il est extrêmement rare que la Belgique accorde l'asile à ces personnes qui bénéficient déjà d'une protection ailleurs". Seuls "deux cas" ont reçu une décision positive depuis 2018, précise le juge du CCE.
Et la CGRA de rappeler pourquoi : "On suppose d’office qu’un demandeur d’asile qui a déjà reçu le statut de réfugié dans un autre pays de l’Union européenne n’a pas besoin d’une protection en Belgique [puisque] tous les pays membres de l’UE doivent respecter la Convention européenne des droits de l’Homme [qui] garantit les droits sociaux fondamentaux des réfugiés", peut-on lire sur son site.
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"Il y a aussi la notion de confiance mutuelle entre État membre", explique une membre du CIRÉ, association belge de défense des étrangers. "C’est très compliqué de désavouer un autre État membre, ça serait comme dire : ‘La Grèce est défaillante, elle ne sait pas protéger ses citoyens, on va vous accorder l’asile en Belgique’. Tout cela peut créer des tensions diplomatiques".
Il arrive, toutefois, que certains dossiers obtiennent une réponse positive. "[Malgré la confiance entre État membre] pendant son audition, un demandeur d’asile peut apporter des éléments pour prouver qu’il ne peut plus bénéficier de la protection accordée par un autre pays de l’UE", écrit la CGRA.
D'autres États de l'UE concernés
Edo s’appuie sur cette dernière phrase pour défendre son dossier. "Je ne suis pas protégé par la Grèce puisque malgré mon statut de réfugié, ce pays ne m’a aidé ni à trouver un toit, ni à trouver un emploi ni même à me donner une aide financière pour me donner un coup de pouce. Pis, on me traite comme un moins que rien".
Depuis des années, de nombreux réfugiés ne parviennent pas à construire leur vie en raison d’une absence de politique d'intégration en Grèce. Elles ne reçoivent pratiquement aucune aide de l'État. Il existe pourtant le programme Helios, mis en place en collaboration avec l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), mais très peu de réfugiés statutaires y accèdent. Et seules les personnes ayant obtenu l'asile après 2018 ou vivant dans des logements fournis par l'État sont éligibles.
Même galère du côté de l’ESTIA, cet important programme grec de logement de réfugiés. Financé par l'Union européenne, il disposait de plus de 20 000 logements mais s’est définitivement arrêté à la fin de l’année 2022. Le ministère grec de l’Immigration avait annoncé qu'il ne reconduirait pas le programme en 2023, malgré l'engagement de la Commission européenne de poursuivre son financement jusqu'en 2027.
La Belgique n'est pas la seule concernée par ces dossiers de "double asile". La France, l’Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suisse s'étaient eux aussi alarmés du nombre "considérable" de réfugiés venus de Grèce déposant une nouvelle demande d'asile. En juin 2021, ils en avaient même informé la Commission européenne.