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Harki, dans le langage courant, en France, désigne les supplétifs engagés dans l’armée française de 1957 à 1962, durant la guerre d'Algérie. Par extension, on a dénommé « harkis » tous les Algériens musulmans soutenant le rattachement de l’Algérie à la République française durant cette période. Le terme, en Algérie, est devenu synonyme de traître et collaborateur.
[N]ous devons pleinement reconnaître la responsabilité de l'État français dans l'abandon presque total par la France d'au moins quelque 150 000 musulmans pro-français ayant combattu à nos côtés, et cela en violation des engagements sur l'honneur, sans cesse réitérés à de multiples reprises, de ne jamais les abandonner et de les protéger. Cet abandon a conduit au massacre de milliers de harkis, d'au moins 60 à 80 000, et peut-être beaucoup plus. Jamais une telle tragédie n'aurait été possible si la France avait poursuivi une toute autre politique. L'État français doit accorder aujourd'hui aux harkis et à leurs familles, français à part entière, les compensations morales et matérielles qu'exigent à la fois la justice et les préceptes d'une morale issue de l'expérience des siècles. Il s'agit là d'un impérieux devoir de mémoire.
L'Algérie d'Evian (1962), Maurice Allais, éd. Jeune Pied-Noir, 1999, Les harkis, un impérieux devoir de mémoire dans la 2e édition de 1999, p. 24
[L]a trahison de l'actuel pouvoir politique à l'égard des populations françaises musulmanes est certainement plus infâme encore et ses crimes plus impardonnables. Car il s'agit d'hommes et de femmes qui, ayant fait confiance à la parole du chef de l'État, général en uniforme [de Gaulle], ayant fait confiance à l'Armée et à l'administration française agissant conformément à la politique et aux instructions du gouvernement, s'étaient, en vertu d'un choix libre et courageux, rangés à nos côtés, et pour beaucoup d'entre eux avaient combattu à nos côtés. [...] La presse, et surtout la radio d'État, a été singulièrement discrète sur l'ampleur des massacres et des tortures infligés aux Musulmans francophiles qui sont nos frères. Tous ces hommes sont actuellement sous le coup d'une loi d'épuration. Dans certaines régions d'Algérie, tous ces hommes sont morts en prison. Il s'agit d'un véritable génocide, perpétré contre des Musulmans qui avaient cru en la France; ce génocide a fait plusieurs dizaines ou centaines de milliers de victimes mises à mort dans des conditions et après des tortures abominables. Ces massacres dépassent de loin en horreur ceux de Katyń, ceux de Budapest, ceux du Katanga, et le caractère monstrueux du dictateur [de Gaulle] apparaît à son indifférence devant ces indicibles souffrances qui sont pour lui autant de manquements à l'honneur.
Déclaration du colonel Bastien-Thiry lors de son procès le 2 février 1963
Jean Bastien-Thiry; sa vie, ses écrits, témoignages, Jean-Marie Bastien-Thiry, éd. Éditions d'histoire et d'art, 1982, p. 128
La France a jeté les harkis dans les basses-fosses de l’Histoire. Il y a eu 80.000 morts. Paris a systématiquement entravé leur sauvetage. De Gaulle est bel et bien complice d’un crime contre l’humanité.
[L]e sort de ces musulmans engagés aux côtés de l'armée française reste une tache très noire dans l'histoire de notre pays. Ils sont convaincus qu'ils doivent lutter aux côtés d'une nation qui peut leur apporter prospérité et développement. Ils voudraient une Algérie débarrassée du pourvoir dictatorial que le FLN commence à instaurer. Une Algérie débarrassée de la violence, du parti unique, dont la tyrannie se profile si la France quitte le pays. Ils vont payer très cher cette fidélité, pendant la guerre, et au lendemain de l'indépendance algérienne. [...] Avoir abandonné ces hommes dévoués à notre cause est une véritable honte. [...] Toute le monde savait qu'ils seraient massacrés. Personne n'a bougé ! [...] je n'oublie pas le dévouement de ces hommes, tel l'adjudant Zga, prêt à affronter toutes les épreuves avec moi.
Ma vie pour la France (2010), Marcel Bigeard, éd. Rocher, 2010, p. 309-310
Parmi les faits rayés des manuels, des mémoires et des débats, le désarmement des harkis et l'abandon à leur sort des disparus pèse d'un poids exceptionnel sur la conscience de la France et sur l'honneur de son armée.
Disparus en Algérie, Marc-Louis Leclair, éd. J. Grancher, 1986, préface du Colonel de Blignière, p. 10
Sur les drapeaux des régiments de tirailleurs algériens et sur les étendards des spahis est gravée une devise. Ce n'est même pas « Honneur et Fidélité » mais « Honneur et Patrie », notre Patrie, c'est la France, et nous n'admettons pas qu'on l'arrache de nos cœurs. Nous n'admettons pas, après le 13 mai, après le référendum du 28 septembre, qu'on revienne sur notre volonté de vivre et de mourrir français. Nous n'admettons pas non plus que la Métrople soit consultée pour savoir si l'on nous autorise à être français. C'est une injure qui nous est faite, à nous Musulmans, qui avons défendu sur tous les champs de bataille un patrimoine commun, un honneur commun, une patrie unique et qui sommes d'ailleurs un mélange de races, de confessions et de peuples ni plus ni moins divers que le peuple français lui-même.
Déclaration du Bachaga Boualam, vice-président de l'Assemblée Algérienne, le 28 janvier 1960
De Psichari à de Gaulle, Marcel Gallienne, éd. La pensée universelle, 1978, p. 187
Mes paysans, mes gardes champêtres, mes bergers de l'Ouarsenis sont devenus des guerriers parce-que leurs pères, leurs enfants, leurs femmes égorgés, ils se sont défendus eux-mêmes contre leurs assassins... la formation d'une harka n'est qu'une autodéfense d'une population que l'on veut forcer par le couteau
et le fer à l'engagement politique.
Les harkis au service de la France, Saïd Boualam, éd. France-Empire, 1963, p. 38
Certains harkis furent crucifiés sur des portes, les yeux crevés, le nez et les oreilles coupés, la langue arrachée, systématiquement émasculés... D'autres encore furent dépecés vivants à la tenaille, leur chair palpitante jetée aux chiens, lapidés, ébouillantés, ligotés et jetés dans les brasiers... Quant aux familles, voici ce qui les attendait : des vieillards et des infirmes étaient égorgés, des femmes violées puis éventrées, des nourrissons, des jeunes enfants avaient la tête écrasée contre les murs sous les yeux de leur mère.
Qui sont les harkis ?, Camille Brière, éd. Amicale des repatriés et originaires français d'Afrique du nord, 1975, p. 15
Ces officiers, ceux qui nous ont suivi, ceux qui ne nous ont pas suivis, depuis des années ont dans les yeux et dans les oreilles les regards et les cris de tous ceux que nous avons abandonnés... Ces gens là étaient venu voir des milliers d'officiers et de sous-officiers : ils avaient dit : "Nous aimons la France, nous voulons rester à ses côtés. Nous nous ferons tuer pour elle mais protégez-nous ; jurez-nous que vous allez rester avec nous, que vous ne nous abandonnerez pas, ni nous, ni nos familles". Et nos officiers et sous-officiers ont juré. Et puis, ils ont amené leur drapeau et ils sont partis avec, dans les yeux, les regards de douleur et de mépris de ceux que nous abandonnions.
Déclaration du Général Challe, le 24 mai 1962, lors de son procès devant le haut tribunal militaire
Notre révolte, Général Challe, éd. Presses de la Cité, 1968, p. 83
Notre premier devoir, c’est la vérité. Les anciens des forces supplétives, les Harkis et leurs familles, ont été les victimes d’une terrible tragédie. Les massacres commis en 1962, frappant les militaires comme les civils, les femmes comme les enfants, laisseront pour toujours l’empreinte irréparable de la barbarie. Ils doivent être reconnus. La France, en quittant le sol algérien, n’a pas su les empêcher. Elle n’a pas su sauver ses enfants. Les Harkis ne sauraient demeurer les oubliés d’une histoire enfouie. Ils doivent désormais prendre toute leur place dans notre mémoire. La mission des historiens doit se poursuivre. Elle doit être menée avec conscience et impartialité. La connaissance du passé, parce qu’elle permet de rendre justice aux victimes de l’histoire ne peut que servir l’approfondissement de notre concorde nationale. Ce devoir de vérité trouve son prolongement naturel dans un devoir de reconnaissance.
J'ai moi-même pu mesurer, alors que je portais les armes pour la France, l'exceptionnel attachement à la patrie dont faisait preuve les harkis qui servaient sous mes ordres, attachement qui n'avait d'égal que leur fierté de servir et leur bravoure au feu.
Lettre de Jacques Chirac, alors Premier Ministre, à Taouès Titraoui, fille de harkis, le 5 juin 1988
L'Algérie d'Evian (1962), Maurice Allais, éd. Jeune Pied-Noir, 1999, p. 51
Si le gouvernement français accepte de recevoir les Français de souche européenne, il ne veut pas de réfugiés musulmans. Une « Excellence », et non des moindres, a dit récemment : « Nous serons suffisamment em...bêtés avec les Pieds-Noirs; nous ne voulons pas des bougnouls ! » Ce racisme abominable, qui est une des tares du nouveau système, qui tourne les dos à toutes les traditions humanitaires de la France, condamne à un sort misérable et souvent à la mort les Musulmans d'Algérie qui nous ont été les plus fidèles, qui ont cru à la parole de la France et à celle du général de Gaulle.
Propos de Raymond Dronne, Compagnon de la Libération et commandant du premier détachement de la 2e division blindée à être entré dans Paris le 24 août 1944, dans le numéro de Carrefour du 16 mai 1962
L'Algérie d'Evian (1962), Maurice Allais, éd. Jeune Pied-Noir, 1999, p. 200
Historia : Quel est selon vous l'acte de trahison le plus retentissant de la Ve République ? Alain Duhamel : Sans hésitation, celui du général de Gaulle ! vis-à-vis des Français d"Algérie. Ses plus proches collaborateurs témoignent qu'il avait l'intention d'agir pour l'indépendance de l'Algérie dès 1958, mais il était beaucoup trop intelligent pour dévoiler ses objectifs dès le départ. En fait, il s'est retrouvé dans l’obligation de mettre sur pied un « simulacre pédagogique ». Cette trahison a eu des conséquences, certainement indispensables, mais néanmoins inhumaines, tant pour le million de pieds-noirs que pour beaucoup d'Algériens.
Votre histoire est notre histoire. L’histoire des Harkis et des rapatriés, c’est l’histoire de France. L’engagement qui a été le vôtre en Algérie, les sacrifices auxquels vous avez consentis, les drames que vous avez vécus : tout cela appartient pleinement à la mémoire nationale. [...] La France ne doit pas oublier. Elle n’oubliera pas. La mémoire est une chose importante. Elle nourrit l’âme d’un peuple, elle forge son caractère et lui donne un avenir.
Et la France a beaucoup à apprendre des Harkis : le sens de l’engagement, le sens de l’honneur, le sens du combat. Ce sont ces valeurs que vous incarnez : et la France en a, plus que jamais, besoin. [...] La nation témoigne aujourd’hui de sa reconnaissance envers les Harkis. Dans le mot « reconnaissance », il y a trois choses qui s’expriment : la mémoire, la gratitude et le respect.
Les Français ont le droit de savoir qu'en Algérie de nombreux musulmans - qui n'avaient pas été insensibles aux espérances des nationalistes - ont été en revanche révoltés par la terreur que ceux-ci faisaient régner dans les villes et les villages, égorgeant ceux qui refusaient de les rejoindre ou de payer l'impôt, brûlant les écoles ou détruisant les routes. C'est cette violence sanguinaire qui, souvent, a poussé les villageois à demander la protection de l'armée et à s'engager dans les groupements d'autodéfense, les groupes mobiles de sécurité, les maghzens, les harkas ou les unités régulières : tirailleurs, spahis, etc...
Mémoire et vérité des combattants d'Afrique du Nord, Collectif, éd. l'Harmatan, 2001, p. 151
Si incontestablement la responsabilité de ce génocide [massacre des harkis] incombre à des Algériens, il ne fait pas de doute que le gouvernement français s'est rendu coupable de non-assistance à personne en danger, et qu'il doit reconnaitre cette faute, comme il a reconnu la responsabilité de l'État dans l'arrestation du Vel d'Hiv. Il s'agit là d'un impérieux devoir de mémoire.
Mémoire et vérité des combattants d'Afrique du Nord, Collectif, éd. l'Harmattan, 2001, p. 152
Leur identité n’a pas été forgée après coup, elle est fondée sur l’histoire. Sans doute les harkis n’avaient-ils pas de programme de parti, mais ils se sont engagés pour des raisons politiques. Ils ont été abandonnés par le gouvernement français, livrés au massacre des maquisards et des attentistes, exilés en métropole dans des conditions indignes. Il convient donc de substituer à la désignation de collabos et de traîtres, celle de résistants au totalitarisme du FLN, victimes du fanatisme et non du colonialisme.
Nous avons commis des fautes à l'égard des harkis. Aujourd'hui, il faut réparer ces injustices. Si je suis élu président de la République, je ferai les gestes symboliques nécessaires pour remettre les pendules à l'heure et l'histoire de notre pays où elle doit être.
« Harkis: il « faut réparer » les injustices (Fillon) », Le Figaro avec l'AFP, Le Figaro, 24 septembre 2016 (lire en ligne)
Contrairement à une idée reçue, les Harkis ne sont pas une émanation curieuse de la guerre d’Algérie. Il faut en effet les rattacher à ce mouvement d’autochtones pro-français qui naît dès 1830. Dès 1830, des tribus prêtent allégeance à la France et cette même France va, bien entendu, se servir des multiples inimitiés entre tribus pour asseoir son pouvoir, les poussant parfois l’une contre l’autre. Dès 1831, il y a des troupes « indigènes », pour reprendre cette dénomination du XIXe siècle, engagées sous le drapeau français. Les régiments et compagnies de Turcos, de Zouaves sont là pour nous le rappeler [...]. Nombre d’entre eux sont alors décorés pour faits glorieux en Crimée, Italie, Sénégal, Mexique... Ainsi, se développe dans certaines familles une sorte de tradition militaire parfois réservée aux cadets. À ces militaires de carrière, il conviendrait d’ajouter les anciens combattants des deux guerres mondiales, lesquels, à la Toussaint 1954, se partageront entre la fidélité au drapeau français et l’insurrection. De fait, la constitution des harkas ne peut apparaître uniquement comme un événement de la guerre d’Algérie mais doit être analysé au travers de toute une histoire de liens, d’attachements mais aussi de rejets avec la France.
« Les harkis » (2007), dans Dictionnaire de la France coloniale, Jean-Jacques Jordi, éd. Flammarion, 2007, p. 505
Les nouvelles qui me parviennent sur les rapatriements prématurés de supplétifs indiquent l'existence de véritables réseaux tissés sur l'Algérie et la métropole et dont la partie algérienne a souvent un chef de S.A.S...Vous voudrez bien faire rechercher dans l'armée ainsi que dans l'administration les promoteurs et les complices de ces entreprises et faire prendre les sanctions appropriées. Les supplétifs débarqués en métropole seront en principe renvoyés... Il conviendra d'éviter de donner la moindre publicité à cette mesure...
Note du 16 mai 1962 de Louis Joxe, alors ministre d'État, à Christian Fouché, haut-commissaire en Algérie française
Les Accords d'Évian: en conjoncture et en longue durée, René Gallissot, éd. Karthala, 1997, p. 129
Comment s'explique - sans se justifier à aucun titre - cette lâcheté, ce crime d'État ? [...] malgré les circonstances, j'arrive assez mal à comprendre comment les militaires français ont pu abandonner les harkis de cette façon. Les autorités françaises et le nouveau pouvoir algérien se sont-ils entendus sur le fait que les harkis étaient des traitres et que l'armée française ne pouvait pas les couvrir ? Le FLN a-t-il exigé qu'on lui livre les harkis ? Cette affaire est puante et encore obscure. L'honneur aurait voulu ou qu'on obtienne la garantie du FLN de les amnistier, ou qu'on les embarque. L'affaire des harkis, longtemps occultée, récemment remise en lumière, est une tâche sur nous Français en général, sur notre armée et sur la figure de De Gaulle...
Voyage dans le demi-siècle: entretiens croisés avec André Versaille, André Versaille, Gérard Chaliand, Jean Lacouture,, éd. Complexe, 2001, La Guerre d'Algérie, p. 207
Quel citoyen français peut considérer sans honte cet abandon d’hommes compromis dans un injuste combat – et, pire encore peut-être, la concentration, des années durant, sur notre sol, de familles entassées dans des camps et oubliées par une collectivité nationale divisée par la guerre ?
Les harkis dans la colonisation et ses suites, Fatima Besnaci-Lancou, Gilles Manceron, éd. Atelier, 2008, Préface de Jean Lacouture, p. 12
De toutes les tragédies collectives qui ont affligé notre temps depuis la Shoah, celle qu'ont vécue les harkis d'Algérie est peut-être pour nous la plus douloureuse - parce que rien n'en parait marquer la fin, rien ne semble ouvrir la voie à la rédemption ou, au pardon, ou plus justement à un réexamen équitable de ce qui fut, en l'occurence, faute, crime, hasard, malchance, poids du destin aveugle.
Fille de harki: "le bouleversant témoignage d'une enfant de la guerre d'Algérie, Fatima Besnaci-Lancou, éd. Atelier, 2003, Préface de Jean Lacouture, p. 9
La Grande Guerre voit l'Algérie fournir un lourd contingent de soldats [...] ils versent généreusement leur sang sur les principaux champs de bataille immortalisés par l'histoire: Verdun, la Somme, la Champagne, l'Artois. Ils sont 170 000 à traverser la Méditerranée [...] Ils sont 36 000 à donner leur vie pour que la France retrouve sa liberté et la paix. C'étaient les grands-pères des harkis. Pendant la seconde guerre mondiale, alors que la France est captive et muette 230 000 soldats musulmans dont 120 000 à 150 000 algériens luttent entre 1942 et 1945, certains jusqu'au sacrifice suprême. [...] ils inscrivent dans le livre d'or de l'histoire de France des pages de gloire qui ont pour nom Belvédère, Monte Cassino, Rome, le Rhin, Strasbourg, Belfort. Pour la seconde fois au cours de ce siècle, ces soldats rendent sa dignité à la patrie et lui restituent sa place dans le monde.
C'étaient les pères des harkis.
Le drame des harkis: la France honteuse, Aziz Meliani, éd. Perrin, 1993, p. 81
Le souci de ne pas re-ouvrir les combats en Algérie a été la raison de notre refus d’organiser des opérations de récupération des harkis persécutés par le FLN. Il s’agissait de savoir si nous voulions finir une guerre de décolonisation, ou si nous voulions la continuer.
Par les renseignements qu'ils fournirent et la capacité opérationnelle que déployèrent harkis, GMS et mokhaznis, on peut dire sans hausser le ton, qu'ils furent les yeux et les oreilles de l'Armée française en Algérie. Sans eux, la victoire militaire sur le terrain eût été plus difficile voire impossible.
La Guerre d'Algérie en 35 questions, Jean Monneret, éd. L'Harmattan, 2008, p. 128
« L'épisode des Harkis constitue une des pages honteuses de l'histoire de France, comme l'ont été l'instauration du Statut des juifs ou la rafle du Vel d'Hiv ». Assertion qui n'est pas sans fondement, surtout si l'on se réfère aux chiffres. 76 000 juifs, dont 24 000 juifs français, ont été livrés aux Allemands et sont morts dans les camps d'extermination. 150 000 Algériens dit harkis, ont été livrés à la vindicte de leurs coreligionnaires. Le génocide dans ce dernier cas est le double du précédent et, dans le cas présent, son déroulement était connu : on savait qu'après huit années d'une guerre inexpiable, les haines se déchaîneraient.
Tous les deux ont une origine commune : les ordres donnés par les pouvoirs publics français. Ils divergent cependant sur un point : l'administration française de Vichy a appliqué les directives reçues sans contrecoup. Aucun préfet, aucun commissaire de police, aucun gendarme n'a démissionné, ne s'est insurgé. Les juifs ont été raflés, emprisonnés. Les convois sont partis vers Drancy et Auschwitz. En 1962, des officiers se sont opposés, ont enfreint les instructions. Des harkis ont pu être sauvés. De nombreux cadres ont démissionné, ne voulant pas cautionner une telle ignominie. L'Armée française de 1962 sort de ce drame moins « salie » que l'administration de 1940 à 1944.
Histoire de l'Algérie, Pierre Montagnon, éd. Pymalion, 1998, p. 322-323
Ces Algériens qui ont manifesté la volonté de rester français, les armes à la main, doivent être considérés comme les plus méritants de nos frères d'armes et aujourd'hui encore, je proclame, comme on l'a dit des anciens combattants de la Grande Guerre qu'ils ont des droits sur nous. Je parle surtout des Harkis...
En Algérie [...] des dizaines de milliers de musulmans se sont joints à nous comme camarades de combat, partageant nos peines, nos souffrances, nos espoirs, nos craintes. Nombreux sont ceux qui sont tombés à nos côtés. Le lien sacré du sang versé nous lie à eux pour toujours. [...] Nous pensions à toutes ces promesses solennelles faites sur cette terre d’Afrique. Nous pensions à tous ces hommes, à toutes ces femmes, à tous ces jeunes qui avaient choisi la France à cause de nous et qui, à cause de nous, risquaient chaque jour, à chaque instant, une mort affreuse. Nous pensions à ces inscriptions qui recouvrent les murs de tous ces villages et mechtas d’Algérie : "L’Armée nous protégera, l’armée restera". Nous pensions à notre honneur perdu.
Déclaration de Hélie de Saint Marc, lors de son procès devant le haut tribunal militaire, le 5 juin 1961
Alger, le putsch, Maurice Vaïsse, éd. Complexe, 1983, p. 172
Je veux rendre hommage aux soldats que vous fûtes. Des soldats qui ont combattu dans l’armée française contre la rébellion indépendantiste de 1954 à 1962. [...] La nation a un devoir moral envers vous. [...] Si je suis élu, je veux reconnaître officiellement la responsabilité de la France dans l’abandon et le massacre de Harkis et d’autres milliers de "musulmans français" qui lui avaient fait confiance, afin que l’oubli ne les assassine pas une nouvelle fois. [...] Aujourd’hui, le mot harki doit être un terme de fierté et de respect, un terme honoré par l’ensemble des citoyens français. Il doit l’être car il est porté par des citoyens français qui ont donné leur sang pour cela. Oui, être harki aujourd’hui c’est pouvoir dire : "je suis Français par le choix et par le sang"..
L'épisode des Harkis constitue une des pages honteuses de l'histoire de France, comme l'ont été l'instauration du Statut des juifs ou la rafle du Vel d'Hiv.
Dominique Schnapper est la fille de l'intellectuel français Raymond Aron
Et ils sont devenus harkis, Mohand Hamoumou, éd. Fayard, 1993, préface de Dominique Schnapper, p. 10
[L]e choix en faveur de la France au cours de la guerre d’indépendance, qui fut aussi une guerre civile, fut souvent lié à l’adhésion à la France et aux droits de l’homme, parfois au hasard de la guerre et des liens familiaux, parfois au refus du terrorisme du FLN. [...] La France s’est mal conduite. Elle n’a pas respecté sa parole pour des raisons politiques. Elle a abandonné à la vengeance de ses ennemis ceux qui étaient engagés pour elle. Elle n’a pas su accueillir sur son territoire ceux qu’elle avait recrutés pour mener la guerre. Elle n’a pas su reconnaître que, patriotes et victimes, les harkis devaient être d’abord pleinement reconnus comme citoyens français - et pas seulement au moment des élections, quand il s’agit d’obtenir leurs voix. [...] La réconciliation entre l’Algérie et la France ne sera jamais complète si elle s’établit sur un déni de justice. C’est l’histoire qui a constitué les harkis et leurs familles en tant que collectivité historique, c’est en tant que collectivité historique qu’ils réclament la vérité.
Les Harkis constituent l'un des problèmes principaux de l’histoire intérieure algérienne Ils sont considérés comme ceux qui ont fissuré l’unité d’une nation homogène. Pendant très longtemps, on a présenté la question harkie comme étant une question minoritaire avec le décalque, dans le discours officiel, des collaborateurs français contre la résistance française - le décalque seconde guerre mondiale appliqué à la guerre d’indépendance algérienne,avec les mêmes mots, les mêmes paramètres. Et cela a fonctionné de cette manière là : une poignée de collaborateurs de l’armée française, face à une armée gigantesque de résistants qui a toujours combattu la présence coloniale. On a assisté à une remise en question du discours traditionnel sur cette immense armée de résistants,et on s’est aperçu qu’il y avait beaucoup moins de gens que cela qui avaient porté les armes, qui avaient combattu, qui avaient été nationalistes. Cette mythologie résistantialiste unanimiste, d’un peuple entièrement soudé s’est progressivement effritée.
Reste que dans cette déconstrution de l'unanimisme, le problème harki touche la question de l’identité nationale algérienne. Parce que toute forme de compréhension vis-à-vis du phénomène harki serait vécue comme une sorte de réhabilitation du système colonial. Pour que l'on puisse effectivement parvenir à cette histoire là, y compris sur les harkis, il faut davantage encore entendre la voix des harkis et leurs enfants, qui expliquent leur choix.
La Blessure - La tragédie des harkis, Isabelle Clarke, Daniel Costelle, Mickaël Gamrasni, éd. Acropole, 2010, p. 70
Harkis et résistants vont bien ensemble. Lorsqu´un petit-fils d´immigré algérien injurie un petit-fils de harki, c´est une stupidité car leurs parents ont également fait le choix de la France. Á deux dates différentes, le même choix.
C'est le cas, insoutenable en équité, et en humanité, et probablement très défendable sur le plan de la raison d'État, qui a consisté à laisser les armes dans les mains du F.L.N. et à les retirer dans les mains de nos amis. C'est le fait qui a consisté à démobiliser, donc à désarmer les harkis et les moghaznis et à retirer les armes au groupe d'autodéfense pour permettre le massacre de ceux-ci
Il est, Messieurs, très possible que le sens de l'Histoire l'ait voulu ainsi. Il est possible que le général de Gaulle, dans une vue panoramique du monde, ait estimé qu'il était superflu de ramener en France plus de trois mille harkis. Le Conseil des Ministres avait en effet déclaré: on en ramènera trente mille. Et au Conseil des Ministres suivant on s'est aperçu que trente mille harkis ou maghaznis, cela faisait trois cent mille personnes, parce qu'il fallait compter avec la femme, la mère et les enfants! A peu près dix personnes par harki ou par moghazni. Alors M. Louis Joxe a tranché, et avec son air toujours un peu excédé, et sa courtoisie lassée, il a dit: "Réduisons à trois mille." Il en est revenu quatre mille cing cents, parce que la marine présente cette particularité exceptionnelle d'avoir des bateaux pour transporter et des traditions à respecter.
Mais ce qu'il y avait de commun entre ceux qui étaient à Dunkerque et ceux qui étaient sur les routes de France, c'était l'incoercible pression de l'armée allemande, alors que je ne sache pas qu'en Algérie nous avons eu à faire face à l'incoercible pression des fellagha pour replier en bon ordre tout ceux qui nous étaient fidèles, tous vos soldats, tous vos harkis, tous vos moghaznis, toutes vos autodéfenses et tous nos compatriotes.
La République a commis en 1962, en Algérie, un crime d’État. En laissant les supplétifs algériens qu’il avait employés, le gouvernement français les a sciemment exposés aux massacres qui ont été commis. Nul n’ignorait que la violence de la guerre d’Algérie ne pouvait qu’engendrer de tels comportements : cette chronique annoncée d’un massacre met en évidence la responsabilité conjointe de ceux qui l’ont perpétré mais aussi de ceux qui l’ont autorisé.
Michel Tubiana est président de la Ligue des droits de l’Homme
Depuis la proclamation officielle du cessez-le-feu en Algérie, des milliers de Français d’origine musulmane ont péri de la façon la plus horrible pour avoir voulu demeurer jusqu’au bout fidèles à la France. Enfermés dans leurs villages ou détenus dans des camps de concentration, des milliers d’autres sont voués à la torture ou à l’égorgement. Si nous abandonnons sans dire mot, à leur sort affreux les musulmans d’ Algérie qui ont fait foi à la parole donnée au nom de la France, l’honneur de ce pays sera perdu. Ce mot, mon titre d’ancien gouverneur et de commandant en chef en Algérie me fait un devoir de le prononcer à la face du monde en rompant un silence que j’ai voulu observer jusqu’ici
Déclaration du général Maxime Weygand le 16.06.1962, dans « Le Monde ».
Les mots des uns ... Les maux des autres: La France et l'Algérie, Michel Delenclos, éd. Godefroy de Bouillon, 2008, p. 202