Contes des fées/Le Rosier enchanté
LE ROSIER ENCHANTÉ
Jeannot, un soir, cheminait dans le bois
Et regagnait la maison d’un pied leste,
Lorsqu’une Voix, qui lui parut céleste,
L’arrêta net :
— « Jeannot ! » disait la Voix.
Qui fut surpris ? Dame ! ce fut notre homme.
Il ne s’était aucunement douté
Qu’il cheminait dans le Bois Enchanté.
S’il n’avait peur, ma foi ! c’était tout comme.
Il demeura tout sot et tout transi.
— « Jeannot, mon bon Jeannot ! » redisait-elle.
Il n’était pas, certe, une voix mortelle
Charmante assez pour supplier ainsi.
Or, en ce lieu, poussait plus haut qu’un orme
Un Rosier d’or aux roses de rubis.
Le paysan eût eu mille brebis
D’un seul fleuron de ce rosier énorme.
La Voix partait de ces rameaux touffus,
Car il y vit une gentille Fée,
De diamants et de perles coiffée.
Jeannot tira son bonnet, tout confus.
— « Jeannot, je veux te conter ma misère, »
Dit-elle ; « écoute et remets ton bonnet.
« Je te demande une chose qui n’est
« Que trop plaisante à tout amant sincère. »
Le jeune gars écarquillait les yeux,
Comme en extase, et restait tout oreille.
Il n’avait vu jamais beauté pareille,
Ni de fichu d’argent aussi soyeux.
La Fée était belle en beauté parfaite,
Rare, en effet, et mignonne à ravir,
Tant, qu’à jamais, pour l’aimer et servir,
Je n’en voudrais pour moi qu’une ainsi faite !
— « Mon bon Jeannot, aime-moi seulement, »
Reprit la Fée ; « il n’est point de tendresses
« Et de baisers et de bonnes caresses,
« Que je ne fasse à mon fidèle amant.
« Aime-moi bien, puisque je suis jolie,
« Aime-moi bien aussi, pour ma bonté.
« Je suis liée à cet arbre enchanté :
« Romps, en m’aimant, le charme qui me lie. »
« Je ne dis non, » fit l’autre, « et je m’en vais
« Tout droit conter notre cas à ma mère.
« Conseil ne nuit : l’on cueille pomme amère
« Sans que pourtant le pommier soit mauvais. »
Il fut conter la chose toute telle,
Riant, pleurant, amoureux et dispos.
Du coup, sa Mère en laissa choir deux pots
Qu’elle tenait.
— « Eh ! mon gars, » lui dit-elle,
« Fais à ton gré. Ce nous est grand honneur.
Va, mon garçon, et pousse l’aventure.
Nous aurons gens, malgré notre roture,
Pour nous donner bientôt du Monseigneur ! »
Elle rêvait déjà vaisselle plate,
Non plus salé, mais belle venaison,
Vin en tonneaux et le linge à foison,
Cotte de soie et robe d’écarlate.
Jeannot courut.
L’aurore jusqu’aux cieux
Avait poussé sa lueur roselée ;
La Fée était bel et bien envolée
Et tout le Bois rose et silencieux.
Ne tardez pas, quand l’heure heureuse sonne,
Gentils amants. Aimez-vous sans façon.
Le bel Amour n’a besoin de leçon,
Le bel Amour ne consulte personne.