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Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Lettre Z

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Henri Plon (p. 711-723).
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Zabulon, démon qui possédait une sœur laie de Loudun.

Zacharie. Revenant prétendu. Voy. Bietka.

Zacoum, arbre de l’enfer des mahométans, dont les fruits sont des têtes de diables.

Zaebos, grand comte des enfers. Il a la figure

 
Zaebos
Zaebos
 
d’un beau soldat monté sur un crocodile ; sa tête est ornée d’une couronne ducale, Il est doux de caractère…

Zagam, grand roi et président, de l’enfer. Il a l’apparence d’un taureau aux ailes de griffon. Il change l’eau en vin, le sang en huile, l’insensé en homme sage, le plomb en argent et le cuivre en or. Trente légions lui obéissent[1].

Zahuris ou Zahories. Les Français qui sont allés en Espagne racontent des faits très-singuliers sur les zahuris, espèces de gens qui ont la vue si subtile qu’ils voient sous la terre les veines d’eau, les métaux, les trésors et les corps privés de vie. On a cherché à expliquer ce phénomène par des moyens naturels. On dit que ces hommes reconnaissaient les lieux où il y avait des sources par les vapeurs qui s’en exhalaient, et qu’ils suivaient la trace des mines d’or et d’argent ou de cuivre par les herbes qui croissaient sur la terre dont elles étaient recouvertes. Mais ces raisons n’ont point satisfait le peuple espagnol ; il a persisté à croire que les zahuris étaient doués de qualités surhumaines, qu’ils avaient des rapports avec les démons, et que, s’ils le voulaient, ils sauraient bien, indépendamment des choses matérielles, découvrir les secrets et les pensées qui n’ont rien de palpable pour les grossiers et vulgaires mortels. Au reste les zahuris ont les yeux ronges, et, pour être zahuri, il faut être né le vendredi saint.

Zairagie (Zairagiah), divination en usage parmi les Arabes ; elle se pratique au moyen de plusieurs cercles ou roues parallèles correspondantes aux deux des planètes, placés les uns avec les autres, et marqués de lettres que l’on fait rencontrer ensemble par le mouvement qu’on leur donne selon certaines règles.

Zapan est, dans Wierus, l’un des rois de l’enfer.

Zariatnatmik, personnage inconnu, mais très-puissant. Voy. Verge.

Zazarraguan, enfer des îles Mariannes, où sont logés ceux qui meurent de mort violente, tandis que ceux qui meurent naturellement vont jouir des fruits délicieux du paradis.

Zédéchias. Quoiqu’on fût crédule sous le règne de Pépin le Bref, on refusait de croire à l’existence des êtres élémentaires. Le cabaliste Zédéchias se mit dans l’esprit d’en convaincre le monde ; il commanda donc aux sylphes de se montrer à tous les mortels. S’il faut en croire l’abbé de Villars, ils le firent avec magnificence. On voyait dans les airs ces créatures admirables, en forme humaine, tantôt rangées en bataille, marchant en bon ordre, ou se tenant sous les armes, ou campées sous des pavillons superbes ; tantôt sur des navires aériens d’une structure merveilleuse, dont la flotte volante voguait au gré des zéphirs. Mais ce siècle ignorant ne pouvait raisonner sur la nature de ces spectacles étranges ; le peuple crut d’abord que c’étaient des sorciers qui s’étaient emparés de l’air pour y exciter des orages et pour faire grêler sur les moissons. Les savants et les jurisconsultes furent bientôt de l’avis du peuple ; les empereurs le crurent aussi, et cette ridicule chimère alla si loin que le sage Charlemagne et après lui Louis le Débonnaire imposèrent de graves peines à ces prétendus tyrans de l’air… Mais nous ne connaissons qu’un coin de la superficie de ces faits.

Zeernébooch, dieu noir, dieu de l’empire des morts chez les anciens Germains.

Zépar, grand-duc de l’empire infernal, qui pourrait bien être le même que Vépar ou Sépar. Néanmoins, sous ce nom de Zépar, il a la forme d’un guerrier. Il pousse les hommes aux passions infâmes. Vingt-huit légions lui obéissent.

Ziganis. Voy. Zincalis.

Zigheuners. On rencontre souvent en Allemagne, tantôt marchant par bandes avec leurs charrettes disloquées et leurs haridelles boiteuses, tantôt bivouaquant en dehors des villages, des familles de gens déguenillés, au teint de cuivre, au regard sauvage, et dont le physique vulturien, encadré de longs cheveux noirs, contraste autant que leur saleté sordide avec cette population germanique si propre, si blonde et à physionomie si cordialement ouverte.

Ces voyageurs, que l’on nomme zigheuners (vagabonds) dans le pays, sont des bohémiens dont les hideuses caravanes parcourent encore l’Europe orientale et pénètrent même quelquefois jusqu’en France par les parties boisées de nos frontières ; mais elles ne tardent pas alors à être obligées de rebrousser chemin. Ces tribus errantes, que l’on nomme dans le Levant nids de bohémiens, paraissent descendre des sudders ou parias de l’Inde, qui, dans les premières années du quinzième siècle, ont quitté leur patrie pour échapper à la férocité des Tartares de Timour-Beg, et cette opinion semble être confirmée par le caractère de leur physionomie, leurs mœurs, et surtout par leur préférence marquée pour la viande des bêtes mortes de maladie. « La viande d’un animal que Dieu a fait mourir, disent-ils, doit être meilleure que celle d’un animal tué par la main de l’homme. »

Depuis plus de quatre siècles donc, ces peuplades n’ont jamais pu s’accoutumer à la vie sédentaire ; l’hiver, néanmoins, les bohémiens se bâtissent des cabanes où ils gîtent tant que dure la saison rigoureuse ; mais dès que les grenouilles commencent à coasser, ils se mettent à jeter bas ces huttes et reprennent gaiement leur volée.

Les zigheuners exercent tous le métier de forgerons et de rétameurs ambulants. « Cinquante bohémiens, cinquante forgerons, » dit un proverbe hongrois. Leurs femmes disent la bonne aventure et leurs enfants vont mendier. Mais le vol est aussi une de leurs ressources, et il leur arrive même quelquefois de commettre ce crime à main armée ; toutefois il faut que l’aubaine soit bonne et l’occasion facile, car la bravoure n’est pas leur fait, comme on peut en juger par ce dicton transylvain : « On peut chasser devant soi cinquante bohémiens sans avoir d’autre arme qu’un torchon mouillé. »

Les Hongrois et les Allemands leur attribuent le pouvoir de jeter des sorts, l’art de guérir les animaux malades, et surtout la science divinatoire : aussi n’est-il merveille que l’on ne raconte là-dessus ; mais la naïveté de ceux qui les consultent nous semble bien plus merveilleuse encore que la science prophétique de ces éternels voyageurs. Une femme veuve, qui faisait valoir avec son fils une petite ferme aux environs de Troppau, dans la Silésie autrichienne, étant allée un matin pour traire sa vache, fut grandement surprise de ne plus la trouver à l’étable. Aussitôt la paysanne et son fils de chercher partout, mais nulle part la moindre trace de la bête fugitive. Enfin, après avoir inutilement battu les environs, la fermière se décide à aller consulter des bohémiens qui avaient pris leurs quartiers d’hiver à quelques kilomètres de là, et la bonne femme fut vraiment au comble de la joie lorsque, ayant demandé le signalement de sa bête, celui à qui elle s’était adressée lui promit que, moyennant dix florins payables après réussite, elle trouverait le lendemain matin sa vache attachée au loquet de sa porte.

Le lendemain, en effet, dès le petit jour, l’animal était à l’endroit désigné, et quelques heures plus tard, le devin s’étant présenté pour toucher la somme convenue, la veuve allait s’empresser de la lui remettre, quand son fils l’en empêche et dit d’un air goguenard : « Puisque vous êtes sorcier, mon cher, vous devez aussi connaître le larron : allez donc le trouver de ma part et dites-lui de vous remettre les dix florins. — Oh ! Hanz, reprend la paysanne mécontente, cela n’est pas juste : toute peine mérite salaire, et qui sait si cet homme pourra rattraper le voleur ? — Sois donc tranquille, réplique le fils, le voleur n’est pas si loin que tu penses, n’est-ce pas mon bonhomme ? » Et le bohémien de s’en aller sans demander son reste, bien que le payement n’eut pas l’air d’être tout à fait de son goût.

Zincalis. C’est le nom qu’on donne aux bohémiens en Orient. Les auteurs de la Revue Britannique, qui nous ont enrichis de tant de renseignements précieux, ont traduit dans leur recueil, en juin 1841, des fragments étendus d’un livre spécial, composé par Georges Barrow, sur les zincalis. Georges Barrow a passé cinq an­nées en Espagne, distribuant des Bibles. Il déclare

 
Zincalis
Zincalis
 
que les gitanos[2] l’ont toujours secondé dans cette distribution ; mais il ne se dissimule pas qu’il a eu peu de succès, lorsqu’il a tenté de les convertir. On le prenait pour un enfant de la grande famille nomade ; ce titre seul rapprochait les gitanos de lui. Ils lui supposaient quelque dessein dans l’intérêt de leur race : ils le servaient en croyant servir l’intérêt commun, et se livraient à lui comme à un frère. Ayant pu voir de si près ce peuple mystérieux, il a dû surprendre quelques-uns de ses secrets ; il avoue qu’il a toujours eu du penchant pour les zincalis, gypsys, gitanos, bohémiens, comme il vous plaira de les appeler. « Les gypsys, auxquels j’ai communiqué cette sensation, dit-il, n’ont pu l’expliquer qu’en supposant que l’âme, qui anime aujourd’hui mon corps, aurait jadis, dans le laps des siècles, animé un corps de gypsy. Ils croient à la métempsycose, et, comme les sectateurs de Bouddha, ils prétendent que leurs âmes, à force de passer d’un corps dans un autre, acquièrent à la longue une pureté assez grande pour jouir de cet état de parfait repos ou de quiétude, seule idée qu’ils se soient formée du paradis.

» J’ai vécu dans l’intimité avec les gypsys, je les ai vus en divers pays, et je suis arrivé à cette conclusion que partout où ils se trouvent, ce sont toujours les mêmes mœurs et les mêmes coutumes, quoique modifiées par les circonstances ; partout c’est le même langage qu’ils parlent entre eux, avec certaines variantes plus ou moins nombreuses, et enfin partout encore leur physionomie a le même caractère, le même air de famille, et leur teint, plus ou moins brun, suivant la température du climat, est invariablement plus foncé, en Europe du moins, que celui des indigènes des contrées qu’ils habitent, par exemple, en Angleterre et en Russie, en Allemagne et en Espagne.

» Les noms sous lesquels on les désigne diffèrent dans les divers pays. Ainsi on les appelle ziganis en Russie, zingarri en Turquie et en Perse, Zigheuners en Allemagne ; dénominations qui semblent découler de la même étymologie, et qu’on peut, selon toute vraisemblance, supposer être une prononciation locale de zincali, terme par lequel, en beaucoup de lieux, ils se désignent eux-mêmes quelquefois, et qu’on croit signifier les hommes noirs de Zind ou de l’Inde. En Angleterre et en Espagne on les connaît généralement sous le nom de gypsys et de gitanos, d’après la supposition générale qu’ils sont venus d’Égypte ; en France, sous le nom de bohémiens, parce que la Bohême fut le premier pays de l’Europe civilisée où ils parurent, quoiqu’ils eussent antérieurement erré assez longtemps parmi les régions lointaines de la Slavonie, comme le prouve le nombre de mots d’origine slave dont abonde leur langage.

» Mais plus généralement ils se nomment rommany : ce mot est d’origine sanscrite et signifie les maris, ou tout ce qui appartient à l’homme marié, expression peut-être plus applicable que toute autre à une secte ou caste qui n’a d’autre affection que celle de sa race, qui est capable de faire de grands sacrifices pour les siens, mais qui, détestée et méprisée par toutes les autres races, leur rend avec usure haine pour haine, mépris pour mépris, et fait volontiers sa proie du reste de l’espèce humaine.

» On trouve les ziganis dans toutes les parties de la Russie, à l’exception du gouvernement de Saint-Pétersbourg, d’où ils ont été bannis. Dans la plupart des villes provinciales, ils vivent en un état de demi-civilisation ; ils ne sont pas tout à fait sans argent, sachant en soutirer de la crédulité des moujiks ou paysans, et ne faisant aucun scrupule de s’en approprier par le vol et le brigandage, à défaut de bêtes à guérir et de gens curieux de se faire dire la bonne aventure.

» La race des rommanys est naturellement belle ; mais autant ils sont beaux dans l’enfance, autant leur laideur est horrible dans un âge avancé. S’il faut un ange pour faire un démon, ils vérifient parfaitement cet adage. Je vivrais cent ans que je n’oublierais jamais l’aspect d’un vieil attaman ziganskie ou capitaine de ziganis, et de son petit-fils, qui m’abordèrent sur la prairie de Novogorod, où était le campement d’une horde nombreuse. L’enfant eût été en tout un ravissant modèle pour représenter Astyanax ; mais le vieillard m’apparut comme l’affreuse image que Milton n’a osé peindre qu’à moitié ; il ne lui manquait que le javelot et la couronne pour être une personnification du monstre qui arrêta la marche de Lucifer aux limites de son infernal domaine.

» Les chinganys sont les Égyptiens hongrois.

» Il n’est que deux classes en Hongrie qui soient libres de faire tout ce qu’elles veulent, les nobles et les Égyptiens ; ceux-là sont au-dessus de la loi ; ceux-ci en dessous. Par exemple, un péage est exigé au pont de Pesth de tout ouvrier ou paysan qui veut traverser la rivière ; mais le seigneur aux beaux habits passe sans qu’on lui demande rien ; le chingany de même, qui se présente à moitié nu avec une heureuse insouciance et riant de la soumission tremblante de l’homme du peuple. Partout l’Égyptien est un être incompréhensible, mais nulle part plus incompréhensible qu’en Hongrie, où il est libre au milieu des esclaves et quoique moins bien partagé en apparence que le pauvre serf. La vie habituelle des Égyptiens de Hongrie est d’une abjection abominable ; ils demeurent dans des taudis où l’on respire l’air infect de la misère ; ils sont vêtus de haillons ; ils se nourrissent fréquemment des plus viles charognes, et de pire encore quelquefois, si l’on en croit la rumeur populaire. Eh bien, ces hommes à demi nus, misérables, sales et disputant aux oiseaux de proie leur nourriture, sont toujours gais, chantants et dansants. Les chinganys sont fous de la musique, il en est qui jouent du violon avec un vrai talent d’artiste.

» Comme tous les enfants de la race égyptienne, les chinganys s’occupent des maladies des chevaux ; ils sont chaudronniers et maréchaux par occasion ; les femmes disent aussi la bonne aventure ; hommes et femmes sont très-pillards. Dans une contrée où la surveillance de la police parque les autres habitants, les chin­ganys vont et viennent comme il leur plaît. Leur vie vagabonde leur fait souvent franchir les frontières, et ils reviennent de leurs excursions riches de leurs rapines ; riches, mais pour dissiper bientôt cette richesse en fêtes, en danses et en repas. Ils se partagent volontiers en bandes de dix à douze, et se rendent ainsi jusqu’en France et jusqu’à Rome. S’ils ont eu jamais une religion à eux, ils l’ont certainement oubliée ; ils se conforment généralement aux cérémonies religieuses du pays, de la ville ou du village où ils s’établissent, sans trop s’occuper de la doctrine…

» L’impératrice Marie-Thérèse et Joseph II firent quelques efforts inutiles pour civiliser les chinganys. On en comptait en Hongrie cinquante mille, d’après le recensement qui eut lieu en 1782. On dit que ce nombre a diminué depuis.

» Il y a trois siècles environ que les gypsys arrivèrent en Angleterre, et ils furent accueillis par une persécution qui ne tendait à rien moins qu’à les exterminer complètement. Être un gypsy était un crime digne de mort ; les gibets anglais gémirent et craquèrent maintes fois sous le poids des cadavres de ces proscrits, et les survivants furent à la lettre obligés de se glisser sous la terre pour sauver leur vie. Ce temps-là passa. Leurs persécuteurs se lassèrent enfin ; les gypsys montrèrent de nouveau la tête, et, sortant des trous et des cavernes où ils s’étaient cachés, ils reparurent plus nombreux ; chaque tribu ou famille choisit un canton, et ils se partagèrent bravement le sol pour l’exploiter selon leur industrie. Dans la Grande-Bretagne aussi les gypsys du sexe mâle sont tout d’abord des maquignons, des vétérinaires, etc. Quelquefois aussi ils emploient leurs loisirs à raccommoder les ustensiles de cuivre et d’étain des paysans. Les femmes disent la bonne aventure. Généralement ils dressent leurs tentes à l’ombre des arbres ou des haies, dans les environs d’un village ou d’une petite ville sur la route. La persécution qui fit autrefois une si rude guerre aux gypsys se fondait sur diverses accusations : on leur reprochait entre autres crimes le vol, la sorcellerie et l’empoisonnement dés bestiaux. Étaient-ils innocents de ces crimes ? Il serait difficile de les justifier d’une manière absolue. Quant à la sorcellerie, il suffisait de croire aux sorciers pour condamner les gypsys ; car ils se donnaient eux-mêmes pour tels. Ce ne sont pas seulement les gypsys anglais, mais tous les Égyptiens, qui ont toujours prétendu à cette science ; ils n’avaient donc qu’à s’en prendre à eux-mêmes s’ils étaient poursuivis pour ce crime.

» C’est la femme gypsy qui exploite généralement cette partie des arts traditionnels de la race. Encore aujourd’hui elle prédit l’avenir, elle prépare les philtres, elle a le secret d’inspirer l’amour ou l’aversion. Telle est la crédulité de toute la race humaine, que, dans les pays les plus éclairés des lumières de la civilisation, une devineresse fait encore de grands bénéfices.

» On accusait autrefois les gypsys de causer la maladie et la mort des bestiaux. Cette accusation était certes fondée, lorsque nous voyons encore dans le dix-neuvième siècle les rommanys, en Angleterre et ailleurs, empoisonner réellement des animaux, dans le double but de se faire payer pour les guérir ou de profiter de leurs cadavres. On en a surpris jetant des poudres pendant la nuit dans les mangeoires des étables. Ils ont aussi des drogues à l’usage des porcs et les leur font avaler, tantôt pour les faire mourir subitement, tantôt pour les endormir : ils arrivent ensuite à la ferme et achètent les restes de l’animal, dont ils se nourrissent sans scrupule, sachant bien que leur poison n’a affecté que la tête et ne s’est nullement infiltré dans le sang et les chairs.

» Les zingarris ou Égyptiens d’Orient gagnent leur vie comme les autres, à soigner les chevaux, à faire les sorciers, à chanter et danser. C’est en Turquie qu’on les trouve en plus grand nombre, surtout à Constantinople, où les femmes pénètrent souvent dans les harems, prétendant guérir les enfants du mauvais œil et interpréter les rêves des odalisques. Parmi les zingarris, il en est qui font à la fois le commerce des pierres précieuses et des poisons : j’en ai connu un qui exerçait ce double trafic, et qui était l’individu le plus remarquable que j’aie rencontré parmi les zincalis d’Europe ou d’Orient. Il était né à Constantinople et avait visité presque toutes les contrées du monde, entre autres presque toute l’Inde ; il parlait les dialectes malais ; il comprenait celui de Java, cette île plus fertile en substances vénéneuses que l’Iolkos et l’Espagne. Il m’apprit qu’on lui achetait bien plus volontiers ses drogues que ses pierreries, quoiqu’il m’assurât qu’il n’était peut-être pas un bey ou un pacha de la Perse et de la Turquie auquel il n’eût vendu des deux. J’ai rencontré cet illustre nomade en bien des pays, car il traverse le monde comme l’ombre d’un nuage. La dernière fois, ce fut à Grenade, où il était venu après, avoir rendu visite à ses frères égyptiens des présides (galères) de Ceuta.

» Il est peu d’auteurs orientaux qui aient parlé des zingarris, quoiqu’ils soient connus en Orient depuis des siècles. Aucun n’en a rien dit de plus curieux que Arabschah, dans un chapitre de sa Vie de Timour ou Tamerlan, un des trois ouvrages classiques de la littérature arabe. Je vais traduire ce passage : « Il existe à Samarcande de nombreuses familles de zingarris, les uns lutteurs, les autres gladiateurs, d’autres redoutables au pugilat, ces hommes avaient de fréquentes discussions, et il en résultait de fréquentes batailles. Chaque bande avait son chef et ses officiers subalternes. La puissance de Timour les remplit de terreur, car ils savaient qu’il était instruit de leurs crimes et de leurs désordres. Or, c’était la coutume de Timour, avant de partir pour ses expéditions, de laisser un vice-roi à Samarcande ; mais à peine avait-il quitté la ville, que les bandes de zingarris marchaient en armes, livraient bataille au vice-roi, le déposaient et prenaient possession du gouvernement ; de sorte qu’à son retour, Timour trouvait l’ordre troublé, la confusion partout et son trône renversé. Il n’avait donc pas peu à faire pour rétablir les choses et punir ou pardonner les coupables. Mais dès qu’il partait de nouveau pour ses guerres ou pour ses autres affaires, les zingarris se livraient aux mêmes excès. Voilà ce qu’ils firent et recommencèrent trois fois, jusqu’à ce qu’enfin Timour arrêta un plan pour les exterminer. Il bâtit des remparts et appela dans leur enceinte tous les habitants grands et petits, distribua à chacun sa place, à chaque ouvrier son devoir, et il réunit les zingarris dans un quartier isolé ; puis il convoqua les chefs du peuple, et remplissant une coupe, il les fit boire et leur donna un riche vêtement. Quand vint le tour des zingarris, il leur versa aussi à boire et leur fit le même présent ; mais à mesure que chacun d’eux avait bu, il l’envoyait porter un message dans un lieu où il avait fait camper une troupe de soldats. Ceux-ci, qui avaient leurs ordres, entouraient le zingarri, le dépouillaient de son habit et le poignardaient, jusqu’à ce que le dernier de tous eut ainsi répandu l’or liquide de son cœur dans le vase de la destruction. Ce fut par cette ruse que Timour frappa un grand coup contre cette race, et depuis ce temps-là il n’y eut plus de rébellions à Samarcande. »

» Que faut-il croire de cette histoire ou de ce conte d’Arabschah ? Comment le mettre d’accord avec ceux qui veulent que les Égyptiens actuels soient les descendants des familles hindoues qui s’exilèrent de l’Inde pour fuir les cruautés de Timour ? Si c’est un conte, toutes les autres traditions peuvent lui survivre ; mais si ce récit est fondé lui-même sur une tradition historique plus ou moins vraie, nous y voyons les zingarris à l’état de peuple, établis dans Samarcande à une époque de la vie de Timour où il n’avait pas encore envahi l’Inde. D’un autre côté, si les zingarris réunis en Occident étaient les débris fugitifs du peuple égorgé à Samarcande, comment ont-ils eux-mêmes laissé ignorer ce malheur de leur race, au lieu de s’en servir pour exciter la sympathie ? En dernière analyse, il est plus facile de prouver qu’ils viennent de l’Inde que de Samarcande.

» Les zincalis ne sont pas seulement appelés, en Espagne, gitanos ou Égyptiens, on les appelle encore Nouveaux Castillans, Allemands, Flamands, termes à peu près synonymes dans la langue populaire, quant aux derniers du moins, et devenus également méprisants, quoiqu’ils aient pu servir primitivement à désigner leur origine, sans aucune intention outrageante.

» Entre eux, les gitanes se nomment zincalis, et abréviativement cales et chai.

» Ce ne fut guère que dans le quinzième siècle que les zincalis se montrèrent en France. On lit dans un auteur français, cité par Pasquier : « Le 17 avril 1427, on vit à Paris douze pénitents d’Égypte, chassés par les Sarasins. Ils amenaient avec eux cent vingt personnes, et se logèrent dans le village de la Chapelle, où l’on allait en foule les visiter. Ils avaient les oreilles percées et portaient des anneaux d’argent. Leurs cheveux étaient noirs et crépus. Leurs femmes étaient horriblement sales et disaient la bonne aventure en vraies sorcières. » Ces hommes, après avoir traversé la France et franchi les Pyrénées, se répandirent par bandes dans les plaines de l’Espagne. Partout où ils avaient passé, leur présence avait été regardée comme un fléau, et non sans motif. Ne voulant ou ne pouvant s’imposer aucune occupation, encore moins aucun métier fixe, ils venaient comme des essaims de frelons s’abattre sur les fruits du travail d’autrui, et bientôt une ligue générale se forma contre eux. Armés de lois terribles, les agents de la justice se mirent à leur poursuite ; le peuple irrité, secondant de lui-même la sévérité de la législation, ou la devançant, leur courait sus et les pendait au premier arbre, sans autre forme de procès.

» Parfois donc, quand ces sauterelles humaines avaient dévasté un canton, la vengeance des habitants suppléait a la connivence des agents de la justice ; mais souvent les gitanos n’attendaient pas que cette vengeance vînt les surprendre, et ils levaient leur camp sans tambour ni trompette. Leurs ânes, chargés des femmes et des enfants, marchaient les premiers, et à l’avant-garde les plus hardis de la troupe, armés d’escopettes, tenaient en respect la police rurale qui osait les poursuivre. Malheur alors au voyageur qui tombait au milieu de cette bande en retraite ! Les gitanos ne se contentaient pas toujours de sa bourse, ils laissaient maintes fois un cadavre sanglant sur les limites du canton qu’on les forçait de quitter en ennemis déclarés.

» Chaque bande ou famille de gitanos avait son capitaine, ou, comme on le désignait généralement, son comte. Don Juan de Quinones, qui, dans son volume publié en 1632, a donné quelques détails sur leur genre de vie, dit : « Pour remplir les fonctions de leur chef ou comte, les gitanos choisissent celui d’entre eux qui est à la fois le plus fort et le plus brave. Il doit joindre à ces qualités la ruse et l’intelligence, pour être propre à les gouverner. C’est lui qui règle leurs différends, même là où existe une justice régulière ; c’est lui qui les guide la nuit, lorsqu’ils vont voler les troupeaux ou détrousser les voyageurs sur la grande route : le butin se partage entre eux, après avoir prélevé pour le comte un tiers du tout. »

» Ces comtes, étant élus pour faire le bien de la troupe ou de la famille, étaient exposés à être dégradés s’ils ne contentaient pas leurs sujets. L’emploi n’était pas héréditaire, et, quels que fussent ses avantages et ses privilèges, il avait ses inconvénients et ses périls. Au comte le soin de préparer une expédition et de la l’aire réussir. Si elle échouait, s’il ne parvenait pas à rendre la liberté à ceux des siens qui restaient prisonniers, si surtout il les laissait périr, sur lui retombait tout le blâme, et il se voyait nommer un nouveau chef qui succédait à tous ses droits. Le seigneur comte des gitanos avait une sorte de privilège féodal : c’était celui de la chasse au chien et au faucon. Naturellement il en jouissait à ses risques ; car on pense bien qu’il ne chassait que sur la terre d’autrui : or le seigneur gitano pouvait fort bien rencontrer le vrai seigneur du domaine. Une ballade traditionnelle nous apprend l’histoire d’un comte Pépé qui, ayant voulu s’opposer au droit de chasse d’un chef gitano, n’y parvint qu’en le tuant. La veuve du mort, en franche Égyptienne, dérobe alors le fils du vainqueur et l’élève parmi les gitanos. Avec le temps, le fils du comte Pépé, nommé comte, veut, comme son père putatif, chasser sur les terres de son véritable père, et tue celui-ci sur la place même qui avait vu tomber le chef, vengé ainsi par un parricide.

» Voici ce qu’on lit dans les Disquisitions magiques de Martin del Rio ; « Lorsqu’en l’année 1581 je traversais l’Espagne avec mon régiment, une multitude de gitanos infestait les campagnes. Il arriva que la veille de la Fête-Dieu, ils demandèrent a être admis dans la ville pour y danser en l’honneur de la fête, selon un antique usage. Ils l’obtinrent ; mais la moitié du jour ne s’était pas écoulée, qu’un grand tumulte éclata à cause du grand nombre de vols commis par les femmes de ces misérables ; là-dessus, ils sortirent par les faubourgs et se rassemblèrent près de Saint-Marc, magnifique hôpital des chevaliers de Saint-Jacques, où les agents de la justice, ayant voulu les arrêter, se virent repousser par la force des armes. Cependant, je ne sais comment cela se fit, mais tout à coup tout s’apaisa. Ils avaient, à cette époque, pour comte un gitano qui parlait l’espagnol aussi purement qu’un natif de Tolède ; ce comte connaissait tous les ports de l’Espagne, tous les chemins et passages des provinces, la force des villes, le nombre des habitants, leurs propriétés à chacun ; bref, il n’ignorait rien de ce qui concernait le secret de l’État, et il s’en vantait publiquement. » Évidemment, aux yeux de del Rio, ce gitano était une espèce de sorcier ; car, à cette époque, tous les gitanos étaient considérés comme des étrangers, et il ne lui paraissait pas naturel qu’ils fussent capables de parler purement l’idiome castillan.

» Je trouve encore, dans les Didascalia de Francesco de Cordova, une anecdote qui prouve que les gitanos ne craignirent pas d’empoisonner, pendant la nuit, toutes les fontaines de Logrono. Cette horrible machination fut découverte par un libraire qui avait autrefois vécu avec eux, et qui la dénonça au curé de la ville. Déjà une épidémie pestilentielle régnait parmi les habitants ; mais il leur resta assez de force pour massacrer les gitanos, lorsqu’ils venaient piller leurs maisons sans attendre qu’ils fussent tous morts.

« Il semblerait, dit un auteur espagnol, que les gitanos et les gitanas n’ont été envoyés dans ce monde que pour y être voleurs ; ils naissent voleurs ; ils sont élevés parmi les voleurs ; ils apprennent à être voleurs, et ils finissent par être voleurs, allant et venant pour faire des dupes. L’amour du vol et la pratique de la volerie sont en eux des maladies constitutionnelles qui ne les quittent plus jusqu’au jour de leur mort. » Tel est l’exorde de la Gitanilla ou la fille égyptienne, nouvelle de Cervantes, qui introduit ensuite son héroïne en ces termes : « Une vieille sorcière de cette nation, qui avait certainement pris ses grades dans la science de Cacus, élevait une jeune fille dont elle se disait la grand’mère et qu’elle appelait Preciosa, etc. »

» Parmi les nombreuses anecdotes qui se rattachent à la vie et aux ouvrages de Cervantes, on raconte que, sous le règne de Philippe III, il parut dans la rue de Madrid une fille égyptienne qui y brilla comme un météore : elle dansait et chantait en compagnie d’autres gitanas, mais si supérieure à toutes par sa beauté, sa grâce et sa voix, que la foule se pressait partout autour d’elle. Une pluie d’or et d’argent exprimait l’enthousiasme des spectateurs. Le roi lui-même fut curieux de la voir ; les meilleurs poètes du temps lui adressaient des vers, trop heureux si elle daignait les chanter ; plusieurs seigneurs devinrent épris d’elle, et enfin un jeune homme de la cour, abandonnant sa famille, se fit gitano pour lui plaire. On découvrit plus tard que cet astre de beauté était la fille d’un noble corrégidor, volée à son père, dans son enfance, par la vieille sorcière qui se disait sa grand’mère. Elle épousa son fidèle adorateur. Telle est l’anecdote, et c’est aussi le sujet de la nouvelle de Cervantes, qui n’est pas la meilleure de ses œuvres, malgré sa popularité. Il n’y a pas que son héros et son héroïne qui ne sont pas de la vraie race égyptienne : tous ses autres gitanos sont des busnis (chrétiens) déguisés, parlant comme jamais gitano véritable n’aurait parlé, alors même qu’ils décrivent assez exactement la vie nomade de leur race. Cervantes connaissait mieux les posadas et les ventas de l’Espagne que les camps des gitanos.

» Mais il existe dans la langue espagnole un roman intitulé Alonso, le valet de plusieurs maîtres, composé par le docteur Geronimo de Alcala, natif de Ségovie, qui écrivait au commencement du dix-septième siècle. Cet Alonso sert toutes sortes de maîtres, depuis le sacristain d’un obscur village de la vieille Castille jusqu’au fier hidalgo de Lisbonne, et tous ces maîtres le congédient à cause de son caractère bavard et de son incorrigible manie de critiquer leurs faiblesses. Enfin, il tombe entre les mains des gitanos. Je suis tenté de croire que l’auteur lui-même avait vécu parmi cette race, tant la description qu’il en donne est vivante et colorée. En voici quelques extraits :

« Je cheminais depuis plus d’une heure à travers ces bois, lorsque, à peu de distance de l’endroit où j’étais, je vis s’élever une grosse fumée : concluant, en vrai philosophe, qu’il n’y a pas de fumée sans feu, et que s’il y avait du feu il devait y avoir des gens pour l’allumer, je me mis à diriger mes pas de ce côté, car il commençait à faire nuit et il régnait un air assez froid. Je n’avais pas marché beaucoup, lorsque je me sentis saisir par les épaules, et tournant la tête, je me vis accosté de deux hommes, pas tout à fait aussi beaux que des Flamands ou des Anglais, vrai teint de mulâtre, mal vêtus et de mauvaise mine.

 
Zincalis
Zincalis
 
Je leur dis qu’ils étaient les bienvenus (Dieu sait avec quelle anxiété de cœur), en leur demandant ce que je pouvais faire pour leur service. Mais eux, avec le bredouillement des gitanos, me dirent de les suivre à leur campement (aduar), où était le señor comte. Me voici en bonnes mains, me dis-je en moi-même ; cela ne peut que bien aller ; je dois m’attendre à une bonne nuit. Mais enfin, faisant de nécessité vertu, je leur répondis : Vamos, señores : allons, messieurs, où vous voudrez. Ils me conduisirent à travers le plus épais du bois, me tenant entre deux pour ne pas me perdre de vue, non sans m’avoir demandé où était ma monture et où je l’avais laissée. Elle vient toujours à moi, répondis-je ; très-dévot à saint François, je suis très-mauvais cavalier, et par économie je voyage à pied. En devisant ainsi, nous arrivâmes au campement de la confrérie, où l’on nous attendait, grâce au coup de sifflet de mes deux guides, qui avaient ainsi averti les leurs de notre
approche. À une portée de pierre, deux filles et deux garçons vinrent à notre rencontre avec grande joie, en s’informant si nous n’avions pas d’autres voyageurs après nous. « Il est seul, dirent mes guides, et s’il eût tardé un peu plus longtemps, nous quittions le poste et revenions les mains vides. »

» Curieux de savoir quel sort m’était réservé, je me trouvai bientôt entouré d’une bande de quarante hommes et femmes, sans parler d’enfants de tout âge qui couraient au milieu d’eux, nus comme dans l’état de nature. Ils me menèrent devant le señor comte, personnage qu’ils respectent tous et qui était le juge et le gouverneur de cette république désordonnée. Le señor comte m’accueillit avec complaisance et me fit dépouiller jusqu’à ma chemise, me laissant comme lorsque j’étais sorti du sein de ma mère. Mes habits furent partagés entre les garçons nus et mon petit pécule entre eux tous… J’aurais voulu garder au moins un peu du manteau usé dont je me garnissais l’estomac quand je me sentais malade ; mais une vieille me l’arracha en me disant : « Voyons, voyons, ce sera pour abriter le ventre du petit Antonio qui se meurt de froid… » Maudite gitana, qui avait lu peut-être cet apophthegme d’Avicenne : Etiam in vilibus summa virtus inest, et qui voulait soigner l’estomac de son marmot aux dépens du mien… À la voix du chef parut Isabel, avec une moitié de chèvre (l’autre moitié, comme je l’appris plus tard, ayant été mangée le matin), volée, selon l’habitude, à des bergers du voisinage. Sans que personne s’avisât de demander de quelle mort elle était morte, ou si elle était tendre, les gitanos la traversèrent d’un bâton en guise de broche, et tous, aidant à apporter du bois, dont il y avait abondance, ils firent un grand feu. La chèvre fut bientôt rôtie ; on ne s’inquiéta pas d’y ajouter des sauces savoureuses, mais ceux qui découpaient servirent à chacun sa portion dans des plats de bois ; alors la troupe s’assit autour d’un drap de lit étalé par terre et servant de nappe. Quoique la nuit fût noire, point n’était besoin de lumière, la flamme du feu suffisant bien pour éclairer trois fois plus de monde. Voyant qu’on soupait, j’allai me montrer à un coin pour ne pas forcer les convives à m’inviter, et là-dessus une gitana, prenant une ou deux côtes, m’appela en disant : « Prends ce morceau de viande et ce morceau de pain, afin que tu ne nous dises pas : Grand mal vous fasse ! » Je fus reconnaissant de ce régal, car, à vrai dire, à mesure que je me réchauffais au voisinage du feu, l’appétit commençait à m’agacer et la faim, à m’incommoder. Je m’escrimai donc sur mes côtes ; mais, quoique j’eusse de bonnes dents, je ne pus y mordre, et le meilleur lévrier d’Irlande n’aurait pu les entamer, tant elles étaient dures. Quant à mes compagnons, sans faire plus de façon, ils mangeaient leur part de chèvre ou de bouc comme si c’eût été le plus gras et le plus tendre chapon, avalant de temps en temps quelques gorgées d’eau, car le vin n’était pas en usage dans cette troupe, qui le trouvait trop cher. Je levai les yeux au ciel et remerciai le Seigneur, en voyant que ce que je ne pouvais manger était si savoureux pour ces misérables : qu’importait que leur viande fût charogne, que le repas arrivât tard, qu’au lieu de vin ils n’eussent qu’une eau dure et saumâtre, capable de faire crever le plus robuste animal ! Tous ces gens-là, jeunes et vieux, femmes et enfants, étaient vigoureux et d’un excellent teint, comme si leur santé avait toujours été soignée avec une sollicitude particulière… Il était déjà plus de minuit lorsque les gitanos pensèrent à dormir, les uns s’adossant aux pins du bois, les autres s’étendant sur le peu de vêtements qu’ils pouvaient avoir. Pour moi, assiégé de maintes et diverses imaginations, je servis de sentinelle, entretenant le feu de peur qu’il ne vînt à s’éteindre, car, sans sa bienfaisante chaleur, je me serais bientôt senti mourir. Je m’occupai ainsi pendant plus de cinq heures, jusqu’à ce que le jour parut, et sa lumière sembla bien paresseuse à mon attente. Je me réjouis de voir s’en aller la nuit, et le ciel se colorer des teintes de l’aube : cherchant alors quelque chose pour couvrir ma pauvre chair, je trouvai, grâce à Dieu, quelques peaux de mouton, dont je m’entourai le corps, la laine en dedans, de manière à être pris pour un anachorète.

» Déjà le soleil rayonnait sur les plus basses montagnes lorsque ces barbares se réveillèrent. Providence divine ! il avait plu pendant près de onze heures, ils n’avaient rien pour se protéger contre l’inclémence de l’air, et cependant ils avaient dormi comme sur de bons matelas ; tant il est vrai que l’habitude devient une seconde nature. Les enlever à cette vie eût été leur donner la mort. Voyant que je m’étais accoutré comme un autre saint Jean-Baptiste, n’ayant plus que les bras et les jambes à découvert, ils rirent de bon cœur et louèrent mon industrie ; mais tous ces compliments sur mon talent à m’accommoder aux circonstances me servirent de peu, car une des gitanas poussant des cris et m’accablant d’injures me commanda de quitter mon nouveau costume, qui était le lit sur lequel elle dormait. Je vis que je m’étais emparé du bien d’autrui, et me dépouillant pour l’acquit de ma conscience, je me retrouvai nu comme tout à l’heure. Ainsi restai-je deux jours pleins, et je serais resté bien davantage encore sans la mort d’un gitano, infirme et vieux, qui ne put se dispenser de payer sa dette à la nature, le premier peut-être de sa race qui mourût ainsi naturellement, tant il est d’usage que ces gens-là meurent à la potence. Deux gitanos creusèrent une fosse où ils déposèrent le défunt, le corps découvert, ensevelissant avec lui deux pains et quelques pièces de monnaie, comme s’il en avait eu besoin pour le voyage de l’autre monde. Alors s’approchèrent les gitanas, toutes échevelées et s’égratignant le visage à qui mieux mieux ; venaient ensuite les hommes invoquant les saints et surtout le grand saint Jean-Baptiste, pour lequel ils ont une dévotion particulière, lui criant comme à un sourd de les écouter et d’obtenir pour le mort le pardon de ses péchés. Quand ils se furent enroués à crier, ils allaient rejeter la terre dans la fosse, mais je les priai d’attendre que j’eusse dit deux mots ; on m’accorda ma requête, et moi, du ton le plus humble, je dis à peu près : « Votre compagnon est déjà allé jouir de la vue de Dieu, car il faut bien l’espérer de sa bonne vie et de sa bonne mort. Vous avez rempli vos obligations en le recommandant au Seigneur et en lui donnant la sépulture ; mais qu’il soit enterré vêtu ou nu, peu lui importe à lui, tandis qu’il peut m’être à moi d’un grand secours de profiter de ses habits. Si vous voulez donc bien permettre que je m’en empare et m’en vêtisse, je me souviendrai toujours, dans mes oraisons, de ce bienfait accordé à ma misère et à ma nudité. » Ce discours parut fort raisonnable ; et j’eus le bonheur de ne pas être contredit. Ils me dirent de faire ce que je désirais. J’obéis, et me voilà cette fois vêtu en vrai gitano, sans en avoir encore l’esprit et les mœurs. Je rendis le corps du mort à sa sépulture, et l’ayant recouvert de terre, je le laissai là jusqu’au jour du jugement, où il reparaîtra, comme nous tous, pour rendre ses comptes. »

Voici d’autres anecdotes :

« Charles-Quint, en venant prendre possession du trône d’Espagne, amena à sa suite une cour d’étrangers, Flamands la plupart, qui révoltèrent bientôt l’orgueil castillan. Charles lui-même, jeune, mais tourmenté d’une vaste ambition et rêvant déjà l’empire d’Allemagne, semblait trouver ses sujets de la Péninsule trop heureux de lui payer les frais de son élection. Il s’étonna beaucoup de l’opposition des cortès quand il fut question de voter les impôts ; mais pressé de se rendre auprès des électeurs germaniques, il partit pour Worms, laissant à ses ministres le soin de résister aux comuneros. Cette ligue comprenait l’alliance de tous les intérêts castillans : elle voulait une souveraineté nationale et imposait à Charles de choisir entre la couronne d’Espagne et celle d’Allemagne.

» On voit dans l’histoire les luttes de Juan de Padilla et de sa vaillante épouse, dona Maria de Pacheco ; mais le mystère de cette ligue ne s’explique que par les traditions des gitanos. On avait prédit à dona Maria qu’elle serait reine. Dans ses épîtres familières, Guevarra lui écrivait : « On sait, madame, que vous avez auprès de vous une sorcière qui vous a promis qu’en peu de jours vous seriez appelée haute et puissante dame et votre mari altesse. » Cette sorcière était une gitana. Dans une des ballades traditionnelles des gitanos, on trouve ces mots : « Je donnerai un de ses fromages magiques à Maria Padilla et aux siens. » Disons d’abord qu’il ne peut être ici question de la première Maria Padilla, femme du roi don Pedro, puisque les gitanos n’étaient pas encore en Espagne sous le règne de ce prince. Il paraît que dona Maria Pacheco ou Padilla, car elle est désignée tantôt par un de ces noms, tantôt par l’autre, s’échappa de Tolède avec sa sorcière, déguisée elle-même en gitana. Cette sorcière était attachée à sa personne depuis longtemps et l’abusait par les apparences, sans doute aussi par les flatteries de son affection perfide ; elle lui persuada que les gitanos de sa tribu la transporteraient en Portugal avec son plus jeune fils, son or et ses bijoux. Les gitanos l’attendaient en effet dans la montagne ; mais, pour s’emparer de cet or et de ces bijoux, ces misérables assassinèrent la mère et l’enfant.

» Si cette tradition espagnole est vraie, jamais action plus odieuse n’a été commise par les gitanos. Los gitanos son muy malos : Les gitanos sont de bien méchantes gens. Cette phrase proverbiale est de bien vieille date en Espagne. Selon les Espagnols, les gitanos ont toujours été des escrocs, des voleurs, des sorciers ; et ils ajoutent, chose plus difficile à prouver, heureusement : Les gitanos mangent de la chair humaine. Mais il est un autre crime qu’il est impossible de nier : Los gitanos son muy malos ; llevan niños hurtados a Berbería : Les gitanos sont très-méchants ; ils transportent les enfants volés en Barbarie… afin de les vendre aux Maures. Il paraît évident que les gitanos ne cessèrent jamais d’entretenir des relations avec les Maures d’Afrique depuis leur expulsion d’Espagne. Les gitanos, n’ayant pas plus de sympathie pour un peuple que pour l’autre, devaient vendre des enfants espagnols aux Barbaresques, comme ils auraient vendu des enfants barbaresques aux Espagnols, si ceux-ci en eussent voulu acheter. Bien mieux, par leurs rapporte avec les pirates, ils leur devaient souvent servir d’espions lorsque ceux-ci méditaient quelque invasion sur les côtes d’Espagne. Voilà comment ils ont pu paraître plus Maures que chrétiens. Aussi ne démentirai-je pas l’anecdote de Quiñones qui raconte que, lors du siège de Mamora, deux galères espagnoles ayant échoué sur un récif de la côte d’Afrique, les Maures firent esclaves les chrétiens des équipages, délivrèrent les Maures enchaînés à la rame et traitèrent également comme une race amie tous les gitanos à bord des deux bâtiments. » Voy. Bohémiens.

Ziton. Pendant les noces de Venceslas, fils de l’empereur Charles IV, avec la princesse Sophie de Bavière, le beau-père, qui savait que son gendre prenait plaisir à des spectacles ridicules et à des enchantements, fit amener de Prague une charretée de magiciens. Le magicien de Venceslas, nommé Ziton, se présente pour faire assaut avec eux. Ayant la bouche fendue de part et d’autre jusqu’aux oreilles, il l’ouvre et dévore tout d’un coup le bouffon du duc de Bavière, avec tous ses habits, excepté ses souliers, qui étaient sales et qu’il cracha loin de lui. Ensuite, ne pouvant digérer un telle viande, il va se décharger dans une grande cuve pleine d’eau, rend son homme par le bas et défie ses rivaux de l’imiter.

Nos vieilles chroniques et nos contes de fées offrent encore des traits semblables. Ce même Ziton changeait quelquefois, dans des festins, les mains des conviés en pieds de bœuf, afin qu’ils ne pussent rien toucher des mets qu’on leur servait, de sorte qu’il avait loisir de prendre pour lui la meilleure part. Voyant un jour des gens à des fenêtres, attentifs à regarder un spectacle qui excitait leur curiosité, il leur fit venir au front de larges cornes de cerf, pour les empêcher de se retirer de ces fenêtres quand ils le voudraient.

Ziwick, dieu des Polonais avant leur conversion. Il présidait à la vie et à la mort.

Zizis. C’est le nom que donnent les juifs modernes à leurs phylactères.

Zoaphité. Voy. Monstres, à la fin.

Zodiaque. Les douze signes du zodiaque ont une influence diverse sur les horoscopes. Voy. Horoscopes et Astrologie.

 
Signes du zodiaque
Signes du zodiaque
Signes du zodiaque.
 

Les influences du firmament se trouvaient très-favorables, disent les astrologues, à la naissance de Louis XIV ; nous en avons le système généthliaque dans l’une des médailles qui appuient l’histoire de son fastueux règne ; l’Académie royale des inscriptions y a marqué (sans rien donner aux incertitudes de l’astrologie) la position précise des planètes au moment où Dieu accorda à la France ce monarque que ses grandes actions ont rendu si célèbre.

On voit autour de cette curieuse médaille les douze signes du zodiaque formant les douze maisons de ce système ; les sept planètes y paraissent dans les positions qu’elles occupaient alors ; le soleil occupe le milieu du ciel ; Mars, seigneur de l’ascendant, se trouve en réception avec Jupiter, le protecteur de la vie, et ce qu’on nomme la fortune majeure. Saturne, qui est hostile, se voit là placé dans les dignités (en argot d’astrologue), ce qui le rend moins maléfique ; la lune est en conjonction avec Vénus, et Mercure, dans son domicile de prédilection, à dix degrés du soleil, hors de combustion, éclairé par ses rayons, ce qui donne une supériorité de génie dans les plus difficiles et les plus importantes entreprises ; son carré avec Mars n’est pas capable de l’abaisser.

La naissance du roi était figurée dans le milieu de la médaille par un soleil levant, et le roi est placé dans le char de l’astre, avec cette légende : Ortus sotis gallici ; le lever du soleil de la France. L’exergue contient ces autres paroles : Septembris quinto, minutis 38, ante meridiem, 1638.

Ajoutons ici une remarque curieuse, c’est que les objets sur lesquels les augures exerçaient leur science se réduisaient à douze chefs, en l’honneur des douze signes du zodiaque : 1o l’entrée dans une maison des animaux domestiques ou sauvages ; 2o la rencontre subite de quelque animal sur le chemin ; 3o la foudre, l’incendie d’une maison ou de quelque autre objet ; 4o un rat qui rongeait des meubles, un loup qui emportait une brebis, un renard qui mangeait une poule, et tout événement de cette espèce ; 5o un bruit qu’on entendait dans la maison et que l’on croyait produit par quelque esprit follet ; 6o un oiseau qui tombait sur le chemin et se laissait prendre, un hibou qui chantait, une corneille qui criait, toutes circonstances qui étaient du ressort de l’augure ; 7o un chat qui, contre la coutume, entrait dans la chambre par un trou ; dans ce cas, il était pris pour un mauvais génie, dans ce cas, il était pris pour un mauvais génie, ainsi que tout autre animal qui se présentait de la même manière ; 8o une chandelle ou un flambeau qui s’éteignait de lui-même, ce que l’on croyait un fait de quelque démon ; 9o le feu qui pétillait ; les anciens croyaient là entendre parler Vulcain ; 10° le feu qui étincelait extraordinairement ; 11° le feu qui bondissait d’une manière singulière ; les anciens s’imaginaient que les lares l’agitaient ; 12° enfin, une tristesse subite et tout événement fâcheux que l’on apprenait contre toute attente.

Et maintenant dans ce livre, où nous démasquons toutes les erreurs, autant que le permettent nos humbles lumières, ne dirons-nous rien des querelles singulières qui se sont élevées à propos du zodiaque de Denderah et de quelques autres zodiaques égyptiens ? Les philosophes, qui ont enfanté tous les égarements de l’esprit humain, comme il ne serait pas difficile de le démontrer, ont reçu de nos jours bien des échecs ; ils en recevront encore jusqu’à ce qu’ils reconnaissent, si c’est possible, dans les conditions de leur pauvre orgueil, qu’on ne trouve guère la vérité hors des enseignements de l’Église. Les luttes contre le Pentateuque n’ont laissé dans ses adversaires que des vaincus. Les plus fiers combattants étaient deux astronomes, gens dont la science est moins fixée peut-être que le magnétisme, aux bases si incertaines. Ces astronomes, Bailly et Dupuis, comme les Titans qui s’étaient promis d’escalader le ciel, ont entassé paradoxes sur systèmes, conjectures sur présomptions, suppositions sur bévues, inductions sur fantômes, aberrations sur mauvais vouloirs pour asseoir un piédestal à une antiquité du monde qui pût contredire les livres divins.

Bailly crut démontrer que le zodiaque de Denderah était antérieur au déluge ; Dupuis, plus acharné, car ce n’était là ni la hardiesse ni l’intérêt de la science, Dupuis s’épuisa en longues veilles, en travaux ardus, qui lui ont coulé assurément bien des sueurs, pour établir que le zodiaque égyptien était antérieur de treize mille ans à Jésus-Christ. Pauvre homme qui se frottait les mains d’un tel triomphe !

Mais les savants sérieux sont venus bientôt, les savants sans passion, les savants qui recherchent la vérité. Les Visconti, les Testa, les Champollion, les Letronne ont ramené la question aux faits réels ; ils ont prouvé de la manière la plus incontestable que les Égyptiens ni les Indiens n’avaient inventé le zodiaque, qu’ils l’avaient reçu des Grecs, lesquels le tenaient des Hébreux ; que le zodiaque de Denderah était un ouvrage du règne de Néron, et que les interprétations astronomiques au moyen desquelles Dupuis, dans le fatras indigeste et infâme qu’il a intitulé Origine de tous les cultes, a voulu démolir nos dogmes, n’ont pas le moins du monde l’antiquité qu’il leur prête, n’ayant été imaginées que par Macrobe et ses contemporains, lorsque le paganisme, honteux, devant les premiers chrétiens, de sa grossière théogonie, chercha à la colorer de ce vernis pour en rougir un peu moins[3].

Zodiaque de Jacob. Un jeune savant anglais, Arthur Lumley Davids, trop tôt enlevé aux sciences et aux lettres, nous a légué une observation ingénieuse sur les connaissances astronomiques des anciens Hébreux. Le songe de Joseph et la bénédiction de Jacob, dit-il, ne laissent aucun doute de la connaissance du zodiaque parmi les anciens Hébreux. Le songe de Joseph est exprimé par les images du soleil, de la lune et des onze constellations qui s’inclinent devant lui, la douzième. Ces constellations ainsi réunies ne peuvent signifier que les signes du zodiaque dans les limites desquelles se retrouvent toujours le soleil et la lune. L’historien sacré nous dit qu’après le récit de son fils, Jacob en garda le souvenir, et rien ne le prouve mieux que les dernières paroles du saint patriarche à ses fils.

Les images dont Jacob s’est servi pour exprimer les destinées diverses de sa postérité sont prises de ces mêmes signes du zodiaque auxquels Joseph avait fait allusion, avec cette seule différence qu’ici les signes eux-mêmes sont nommés et décrits. Ruben comparé à l’eau inconstante est le Verseau ; Siméon et Lévi sont réunis ensemble avec l’observation qu’ils sont frères, et figurent les Gémeaux ; Judas est le Lion ; Zabulon, qui habite les ports de mer, en représente la production : le Cancer ; Issachar est probablement le Taureau, les Septante l’ont même traduit par Aner Georgos, le cultivateur du sol. Les signes appliqués à Dan montrent évidemment l’identité de nos signes du zodiaque avec ceux des anciens Hébreux ; les trois signes dans lesquels Dan est représenté se suivent dans la même position que dans nos zodiaques. La Balance est l’attribut de Dan, en sa qualité de juge, puis comme Scorpion : « Il mord le talon du cheval et le cavalier est renversé. » C’est exactement la position de notre Scorpion à l’égard du Centaure, qui représente le Sagittaire. Gad l’archer est le Sagittaire. Asher, aux mets succulents, représente les Poissons ; Nephthali est le Bélier ; Joseph, la vigne féconde, est la Vierge ; Benjamin enfin est comparé au loup qui dans l’antiquité occupait la place du Capricorne ; même dans des temps plus récents on voit à ce signe un Pan avec une tête de loup. Les Hébreux auraient ainsi connu la sphère plus de deux mille ans avant l’ère chrétienne. Il y a peu de doute que le zodiaque hébreu ne soit le Massanoh dont parle Job dans son allusion astronomique aux constellations célestes. (Archives israelites.)

Zoroastre, le premier et le plus ancien des magiciens. Sextus Sinensis reconnaît deux enchanteurs de ce nom : l’un roi de Perse et auteur de la magie naturelle ; l’autre roi des Bactriens et inventeur de la magie noire ou diabolique. Justin dit que Zoroastre régnait dans la Bactriane longtemps avant la guerre de Troie ; qu’il fut le premier magicien et qu’il infecta le genre humain des erreurs de la magie.

Voici, dit Voltaire, ce que l’Anglais Hyde rapporte sur Zoroastre, d’après un historien arabe :

« Le prophète. Zoroastre étant venu du paradis prêcher sa religion chez le roi de Perse Gustaph, le roi dit au prophète : « Donnez-moi un signe. » Aussitôt le prophète fit croître devant la porte du palais un cèdre si gros et si haut, que nulle corde ne pouvait l’entourer ni atteindre sa cime. Il mit au haut du cèdre un beau, cabinet où nul homme ne pouvait monter. Frappé de ce miracle, Gustaph crut à Zoroastre ; Quatre mages ou quatre sages (c’est la même chose), gens jaloux et méchants, empruntèrent du portier royal la clef de la chambre du prophète pendant son absence et jetèrent parmi ses livres des os de chiens et de chats, des ongles et des cheveux de mort, toutes drogues avec les quelles les magiciens ont opéré de tout temps. Puis ils allèrent accuser le prophète d’être un sorcier et un empoisonneur. Le roi se fit ouvrir la chambre par son portier. On y trouva les maléfices, et voilà Zoroastre condamné à être pendu.

» Comme on allait pendre Zoroastre, le plus beau cheval du roi tombe malade ; ses quatre jambes rentrent, dans son corps, tellement qu’on ne les voit plus. Zoroastre l’apprend ; il promet qu’il guérira le cheval, pourvu qu’on ne le pende pas. L’accord étant fait, il fait sortir une jambe du ventre et dit au roi : « Sire, je ne vous rendrai pas la seconde jambe que vous n’ayez embrassé ma religion.

» — Soit, dit le monarque. » Le prophète, après avoir fait paraître la seconde jambe, voulut que les fils du roi se fissent zoroastriens ; et les autres jambes firent des prosélytes de toute la cour. On pendit les quatre malins sages au lieu du prophète, et toute la Perse reçut sa foi.

» Bundari, historien arabe, conte que Zoroastre était Juif, et qu’il avait été valet de Jérémie ; qu’il mentit à son maître ; que Jérémie, pour le punir, lui donna la lèpre ; que le valet, pour se décrasser, alla prêcher une nouvelle religion en Perse et fit adorer le soleil.

» Le voyageur français qui a écrit la vie de Zoroastre, après avoir observé que son enfance ne pouvait manquer d’être miraculeuse, dit qu’il se mit à rire dès qu’il fut né, du moins à ce que disent Pline et Solin. Il y avait alors un grand nombre de magiciens très-puissants ; ils savaient qu’un jour Zoroastre en saurait plus qu’eux et qu’il triompherait de leur magie. Le prince des magiciens fit amener l’enfant et voulut le couper en deux ; mais sa main se sécha sur-le-champ. On le jeta dans le feu, qui se convertit pour lui en bain d’eau rose. On voulut le faire briser sous les pieds des taureaux sauvages, mais un taureau plus puissant prit sa défense. On le jeta parmi les loups ; ces loups allèrent incontinent chercher deux brebis qui lui donnèrent à téter toute la nuit. Enfin, il fut rendu à sa mère, Dogdo, ou Dodo, ou Dodu. » Bérose prétend que Zoroastre n’est autre que Cham, fils de Noé. Les cabalistes ont de Zoroastre une opinion toute différente ; mais, si les démonomanes le confondent avec Cham, les cabalistes le confondent avec Japhet. Ainsi, les uns et les autres s’accordent à le faire fils de Noé. « Zoroastre » autrement nommé Japhet, dit le comte de Gabalis, était fils de Vesta, femme de Noé. Il vécut douze cents ans, le plus sage monarque du monde ; après quoi il fut enlevé. Cette Vesta, étant morte, fut le génie tutélaire de Rome ; et le feu sacré, que des vierges conservaient avec tant de soin sur un autel, brûlait en son honneur. Outre Zoroastre, il naquit d’elle une fille d’une rare beauté et d’une grande-sagesse, la divine Égérie, de qui Numa Pompilius reçut toutes ses lois. Ce fut elle qui engagea Numa à bâtir un temple en l’honneur de Vesta, sa mère. Les livres secrets de l’ancienne cabale nous apprennent qu’elle fut conçue en l’espace de temps que Noé passa sur les flots, réfugié dans l’arche cabalistique. »

Zoubdadeyer. En l’an 408, le roi de Perse Cabadès apprit, dit Théophanes, qu’il y avait aux frontières de ses États un vieux château appelé Zoubdadeyer, plein de richesses gardées par des démons. Il résolut de s’en emparer, mais les magiciens juifs qu’il employa pour mettre en fuite les bandes infernales n’y réussirent pas. Un évêque chrétien put seul dissiper les prestiges du château ensorcelé.

Zoureg, serpent mystérieux, long d’un pied, que les Arabes disent habiter le désert, ou il est doué d’une puissance qui lui permet, dans ses courses, de traverser, sans se détourner les plus rudes obstacles, un rocher, un mur, un arbre, un homme. L’homme que le zoureg traverse en passant meurt aussitôt. On ne peut tuer ce petit serpent qu’en lui coupant la tête pendant qu’il dort.

Zozo, démon qui, accompagné de Mimi et de Crapoulet, posséda en 1816 une jeune fille du bourg de Teilly en Picardie. Voy. Possédés.

Zundel, capitaine des bohémiens. Voy. Bohémiens.

Zwingle, était curé de Notre-Dame des Ermites à Einsiedeln, lorsque Luther donna le signal de cette révolte effroyable qu’on a appelée la Réforme.

Il voulut comme lui se rendre indépendant. Mais comme il n’avait pas entièrement perdu la foi, ces mots si précis de la consécration : Ceci est mon corps ! l’embarrassaient.

Un démon, peut-être celui qui avait enseigné Luther, vint à lui et lui dit : « Lâche, que ne réponds-tu à ce propos ce qui est écrit dans l’Exode :

L’agneau est la Pâque, pour dire qu’il en est le signe ? »

Ce trait de lumière venu d’en bas suffit à Zwingle, qui apostasia, et qui, quelque temps après, le 11 octobre 1531, à l’une des batailles qui ont été les fruits amers de la Réforme, y fut tué misérablement combattant contre l’Église.

Dans ce dédale immense d’erreurs, d’illusions et d’égarements, dont nous venons de rassembler les croquis monstrueux ou grotesques, on ne perdra pas de vue ce grand fait, — que tout ce qui est faux et coupable est dans tous les temps le fruit des insurrections de l’esprit humain, et que ces écarts et ces rebellions n’ont pu être produits que par les hardiesses d’une fausse philosophie qui a constamment répandu ses rêves sous des masques divers ; mais il est une lumière, la seule vraie, qui brille au milieu de ces ténèbres, quoique le grand nombre ferme les yeux pour ne la point voir : — Lux in tenebris lucet, et tenebræ eam non comprehenderunt. — Cette vraie lumière n’est nulle part entière que dans l’Église romaine, centre unique de la liberté et de la Vérité, — ou Dieu nous maintienne !

 
Fin
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  1. Wierus, Pseudomonarchia dæmon.
  2. C’est le nom qu’on donne en Espagne aux bohémiens.
  3. Voyez M. Letronne, Sur l’origine grecque des prétendus zodiaques égyptiens. Voyez aussi la brochure de M. Testa sur les zodiaques.